«Retrouver l’esprit de la Charte des Nations unies»
«En cas de rupture de la paix, le premier devoir de la communauté internationale est de la rétablir.» Rappelant ce principe fondamental de la Charte de l’ONU, Denise Plattner, juriste, estime la position du bloc occidental «peu compatible» avec l’objectif du rétablissement de la paix en Ukraine.
On ne relit jamais assez les textes de droit. J’invite donc chacun à lire la Charte des Nations unies, texte prestigieux entre tous. Le chapitre VII sur l’«action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression» est certainement le plus intéressant actuellement. Il se termine par l’art. 51, qui consacre le droit de légitime défense, individuelle ou collective.
Le droit et la violence sont antinomiques, la fonction du droit étant d’empêcher la violence, ou d’y mettre fin. Le chapitre VII précité confirme ce principe. En cas de rupture de la paix, le premier devoir de la communauté internationale, incarnée dans ce chapitre par le Conseil de sécurité, est de la rétablir.
La résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 2 mars 2022, si elle «[déplore] dans les termes les plus vifs l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte», demande ainsi «instamment le règlement pacifique immédiat du conflit entre la Fédération de Russie et l’Ukraine par voie de dialogue, de négociation, de médiation et autres moyens pacifiques» (par. 14).
En droit interne, la légitime défense, reconnue par le droit pénal, doit être proportionnée pour éviter tout débordement. L’anéantissement de l’agresseur n’est pas admis, si celui-ci ne met pas en danger la vie de la victime. L’Italie, avec son plan de paix aux Nations unies de mai 2022, la Chine, tous les appels de la société civile1>Voir le remarquable document de l’organisation allemande IPPNW: «Waffenstillstand und Frieden für die Ukraine», février 2023. sont donc en adéquation parfaite avec les buts de la Charte.
A contrario, l’opposition du bloc occidental à la poursuite des négociations entamées entre les belligérants au mois de mars 2022 apparaît peu compatible avec l’objectif du rétablissement de la paix.
En droit interne, une partie qui s’estime lésée s’adresse à un tribunal, confiante en son caractère impartial. Au plan international, une procédure judiciaire est compliquée et l’impartialité paraît moins assurée. De plus, il n’y a pas d’instance de recours pour apprécier les décisions, ni d’exécution forcée pour les faire respecter, si nécessaire.
Les rapports de force imprègnent donc fortement le droit international. Toutefois, des principes les tempèrent. Ainsi, le droit international étant d’essence contractuelle, le principe de la bonne foi revêt une importance fondamentale.
Ces considérations sont pertinentes par rapport aux accords de Minsk. Selon des sources occidentales, leur conclusion devait permettre à l’Ukraine de se préparer à des affrontements avec la Russie. Si tel a été le cas, il s’agirait d’une atteinte extrêmement préoccupante au principe de la bonne foi.
Par ailleurs, le non-respect de ces accords, alors que la résolution de l’Assemblée générale précitée «[exhorte] les parties à respecter les accords de Minsk […] en vue de leur pleine application» (par. 8), pose aussi la question de savoir quels sont les moyens juridiques pour faire respecter des accords de paix.
Les projets pour faire juger le dirigeant russe par un tribunal international font appel à un domaine inspiré du droit pénal national. S’il convient à la répression de crimes consistant en particulier en des atteintes à la vie ou à l’intégrité humaine, sa transposition au crime d’agression paraît plus ardue, car on passe du champ de l’acte individuel concret à celui d’une décision politique. Appliquer le même type de répression à l’exécution d’un prisonnier de guerre et à une décision prise par des personnes investies de mandats politiques apparaît un exercice délicat.
Quoiqu’il en soit, une justice digne de ce nom ne pourra pas faire abstraction de la responsabilité du bloc occidental. Le non-respect des accords de Minsk pourrait s’apparenter à la responsabilité concomitante du lésé, qui entre en ligne de compte en droit civil suisse. La non-observation d’obligations internationales ne devrait donc pas rester sans conséquence lorsqu’il s’agit d’apprécier la culpabilité en cas d’agression.
Plutôt que de rêver d’une justice des vainqueurs, cherchons à retrouver l’esprit de la Charte des Nations unies. Celle-ci nous demande de régler les différends entre Etats par des moyens pacifiques et de développer entre les nations des relations amicales. Nous nous sommes terriblement éloigné·es de ces préceptes ces derniers temps, mais il ne tient qu’à nous, citoyen·nes du monde, de demander qu’ils guident à nouveau les décisions de nos élu·es.
Notes
Licenciée en droit, diplômée en droit international public, Berne.