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Transports publics gratuits: contourner l’impasse

L'Impoligraphe

A Genève et à Fribourg, la Jeunesse Socialiste, les Jeunes Verts et les Jeunes de Solidarités avaient saisi le Tribunal fédéral de l’invalidation par les Conseils d’Etat de leurs cantons respectifs de leurs initiatives pour la gratuité des transports publics, alors que dans le canton de Vaud une initiative allant dans le même sens a été validée. Il y avait donc bien une marge de manœuvre que les gouvernements genevois et fribourgeois n’ont pas utilisée, pour interpréter dans un sens favorable aux droits démocratiques l’art. 81 de la Constitution fédérale qui stipule que les usagers des transports publics doivent contribuer à leur coût – mais qui ne précise pas comment. Il y avait une marge d’interprétation, il n’y a plus: le Tribunal fédéral a confirmé l’interprétation restrictive que donnait le gouvernement fribourgeois de la Constitution fédérale: les usagers doivent couvrir une part «appropriée» des coûts des transports publics, et on ne peut pas considérer les impôts qu’ils paient comme une telle part, même si les ressources qu’ils procurent soit utilisées pour financer les transports publics. Mais l’arrêt du TF, qui fait jurisprudence, laisse plusieurs portes (dérobées) ouvertes à la gratuité, pour certaines catégories de la population, voire certaines lignes de transports publics. Et qu’il ne fixe aucune limite à la conjugaison de ces gratuités partielles. Reste à les passer ces portes (dérobées) ouvertes…

La gratuité des transports publics serait donc anticonstitutionnelle? Voire… La disposition constitutionnelle sur laquelle s’appuie l’arrêt du Tribunal fédéral est récente: votée en 2014, elle est entrée en vigueur en 2016 – et la justification que lui donnait le Conseil fédéral dans son message est assez étrange: la mobilité par les transports publics ne doit pas être trop bon marché – et ne doit par conséquent pas être gratuite, parce qu’alors elle attirerait trop de monde. Il serait donc anticonstitutionnel de mettre sur pied un service public qui attirerait trop de public? Le Conseil fédéral, il est vrai, ajoutait que les transports publics ne doivent pas être trop chers, parce qu’alors ils dissuaderaient le transfert de la route au rail, mais ce balancement de l’argumentation finit bien par confirmer que la gratuité des transports publics est un moyen de ce transfert modal… qui est précisément l’un des objectifs de la gratuité revendiquée.

L’arrêt du Tribunal fédéral faisant jurisprudence, tant que la Constitution fédérale n’est pas modifiée pour autoriser la gratuité générale des transports publics dans un canton, une ville, on ne peut qu’en tenir compte. Mais on notera tout de même que le TF admet qu’une gratuité partielle reste conforme à la Constitution. Or qu’est-ce qu’une gratuité partielle? C’est une gratuité accordée à une catégorie précise de la population, ou une gratuité générale limitée dans le temps, ou à une ligne précise de transports publics. Et ces gratuités partielles sont cumulables – et sont d’ailleurs déjà cumulées: à Genève (et ailleurs), des milliers d’usagers bénéficient déjà d’une gratuité des transports publics urbains: d’entre eux, les élus dans les parlements (y compris ceux qui s’opposent à la gratuité pour les autres), le personnel des entreprises de transports publics, les enfants, parfois les personnes au bénéfice de prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI… sans parler de ceux (et nous sommes de ceux là) qui s’octroient eux-mêmes, par la resquille, ce privilège de quelques-uns dont ils veulent faire un droit de tous… La resquille elle-même est un privilège: si je la pratique depuis un demi-siècle, c’est que je puis me le permettre, me permettre sans dommage pour qui que ce soit, quelques jours-amende gracieusement offerts par l’Etat, à ses frais – c’est ainsi que pour me punir de ne pas avoir payé 3 francs, l’Etat va dépenser autour de 600 francs par jour pour me loger (certes, mal) et de nourrir (certes, pas très bien).

Tout petit pas de gratuité ciblée pouvant être un pas vers une gratuité quasi générale (et cela vaut, à Genève, pour une motion du MCG au Conseil municipal de la Ville de Genève, demandant pour les moins de 25 ans cette gratuité sur le réseau TPG en Ville…), une motion socialiste sera déposée pour demander à l’exécutif municipal d’étudier la possibilité d’introduire la gratuité des lignes existantes de bus et de bateau (les Mouettes genevoises) sur le territoire communal.

L’application bête et aveugle d’une disposition constitutionnelle mène toujours à une impasse. Alors, si quelques petits détours permettent de la contourner (en transports publics), pourquoi se priver de les suggérer? La ligne droite n’est-elle pas le chemin le plus con pour aller d’un point à un autre? Même d’un arrêt de bus à Champ-Dollon? Même…

Pascal Holenweg est conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

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lundi 8 janvier 2018

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