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Tous les moyens, même légaux

L'Impoligraphe

Foin de l’Ukraine, de la variole du singe, des talibans, des menaces de crise énergétique, parlons de l’essentiel: le Parti socialiste de la Ville de Genève a décidé d’utiliser la part qui lui revient des jetons de présence de ses élu·es, engrangés lors d’une séance «extraordinaire» (qui ne le fut guère, sinon dans son inutilité) convoquée par la droite municipale pour faire le procès d’une conseillère administrative présumée coupable d’avoir autorisé le «dégrappage» du bitume pâquisard par les associations Actif Trafic et Survap en soutien à ces associations, à qui la Ville entend faire payer les frais du «regrappage» du bitume «dégrappé» et coller une amende.

Sur les rézosocios, l’Amer Journaliste et un député PLR s’énervent: le premier trouve «hallucinant» qu’un «parti responsable présent depuis plus d’un siècle dans la vie politique suisse» décide «de se mettre en marge des lois de la République» en se rendant complice des actes de «militants transgresseurs de l’ordre juridique». Comme si c’était une nouveauté, comme si les socialistes (et toute la gauche) n’avait pas depuis 150 ans soutenu des actions illégales – mais légitimes: des grèves, des occupations, des manifestations –; comme si nous n’avions pas toujours marché sur deux jambes: celle de la légalité, celle de la légitimité. Et usé de «tous les moyens, même légaux» (l’expression est de Léon Blum) pour conquérir des droits et des libertés qui paraissent aujourd’hui évidentes (comme ceux et celles que contenait le cahier de revendications de la Grève générale de 1918, action suprêmement illégale) qu’on en oublie quelles luttes en ont accouché…

Accessoirement, un parti politique est libre de soutenir quelque association légale qu’il veut (Survap et ActifTrafic sont des associations légales, faut-il le rappeler) et ces associations libres de faire de ce soutien ce qu’elles veulent, dès lors qu’il n’est pas affecté à telle ou telle action en particulier. Et le soutien du PS-Ville aux deux associations en question ne l’est pas, affecté – pas plus au paiement d’une amende ou des frais de «regrappage» bitumier qu’à quoi que ce soit d’autre…

On ajoutera que les ressources utilisées pour ce soutien, c’est bien à la droite municipale qu’on les doit (les associations devraient d’ailleurs l’en remercier): c’est elle qui, convoquant pour se faire mousser une séance inutile du Conseil municipal, a contraint la Ville à verser aux membres du Conseil et à leurs partis des jetons de présence qu’ils n’avaient nullement sollicités. La séance était inutile? Autant que les prébendes l’accompagnant soient, elles, utiles à quelque chose. Dès lors, amis et collègues de la droite, n’hésitez pas à en reconvoquer une autre, de séance extraordinaire, et de la même eau (plate) que celle de juillet, et à nous procurer à nouveau des jetons de présence à redistribuer à d’autres associations militant pour un changement radical de politique environnementale, énergétique, des transports, d’aménagement ont besoin d’un soutien. Extinction Rébellion, par exemple…

Et puis, il y a le fond de l’affaire (car, oui, elle a un fond, sous le bitume): que signifiait l’action des associations «coupables» du «dégrappage» pâquisard? Et que signifie le soutien que peut lui apporter un parti politique? Ce week-end, votre quotidien préféré reprenait la question des habitant·es des Eaux-Vives demandant «à se réapproprier l’espace public», à la veille du démontage des aménagements temporaires de restriction de la circulation dans trois rues de leur quartier: «qu’est-ce qu’on attend pour dégrapper?».

Qu’attend-on pour que la Ville dégrappe? Survap et ActifTrafic ne voulaient pas attendre. En dégrappant elles-mêmes, ces deux associations ont rappelé au Conseil administratif ses propres engagements. Et en exprimant son soutien matériel aux actions (mêmes légales) des associations d’habitant·es en faveur d’une amélioration des conditions de vie dans leurs quartiers (végétalisation, rafraîchissement, accès à l’eau libre) et de la réduction de l’emprise du stationnement motorisé sur le domaine public, le PS a formulé ce même rappel. Rien de plus, rien de moins.

«Un jour devant nos yeux/Surgira le vrai visage/de cette ville/Devant nos pieds/se déploieront les routes/et pousseront les fleurs» (Grisélidis Réal).

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg L'Impoligraphe

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lundi 8 janvier 2018

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