Reflet de la vie d’un service de pédiatrie au Niger
Je viens de rentrer d’une mission de trois mois dans un service de pédiatrie au Niger pour le compte d’une ONG. Expérience extrêmement positive pour moi, qui ne peux que remercier ladite ONG de m’avoir fait confiance. Globalement, un travail magnifique et intense se fait, qui permet à plus de 9 enfants sur 10 de sortir de l’hôpital guéri ou en voie de guérison. J’aimerais rendre un hommage particulier à tout le personnel paramédical mais aussi à celui occupé dans la logistique, qui œuvrent dans des conditions de travail pas toujours faciles (certain·es disaient, la semaine dernière, attendre le renouvellement de leur contrat de travail, ne sachant toujours pas s’ils ou elles seraient réengagé·es début mai, et les salaires arrivent souvent avec dix à quinze jours de retard). Malgré tout, ils et elles assurent l’essentiel du travail, permettent que le service soit propre, pourvu d’eau en continu, et font qu’un générateur se mette en marche dès la moindre coupure de courant – ce qui est d’autant plus important qu’au moins 20 enfants en permanence en dépendent, du fait de leurs besoins en oxygène nécessitant l’usage d’un concentrateur électrique. C’est tout ce travail qui nous permet de nous centrer sur notre rôle de médecin.
Travailler dans un pays où le système de santé est très fragile, où des maladies pourtant fréquentes sont «orphelines»1>Lire mes chroniques des 3 et 31 mars 2023., reste une expérience parfois difficile. D’abord parce que, malgré les efforts de tous, la mortalité des patient·es est largement plus élevée que dans nos pays. Il y a des décès presque tous les jours. Parce que les enfants arrivent souvent déjà très malades, qu’ils ont reçu une médication traditionnelle parfois, hélas, délétère, que leur état nutritionnel est catastrophique, et aussi parce que nos moyens techniques (et humains) sont limités. Je pense à ce petit enfant tout dodu de quelque trois mois, décédé d’une coqueluche par épuisement respiratoire, sans que l’on n’ait rien pu faire. Il y a ceux qui s’en vont sans que l’on ne parvienne à comprendre vraiment le pourquoi, alors qu’avec le même tableau clinique et la même prise en charge, leur voisin s’en est sorti. C’est dur et frustrant et l’on voudrait disposer d’un peu plus de moyens techniques pour pouvoir affiner les traitements. Mais sans imagerie, avec un laboratoire minimaliste, c’est impossible. Et serions-nous réellement plus efficaces?
Un très grand nombre de patient·es arrivent avec des anémies très sévères (avec parfois seulement 2 g d’hémoglobine pour une normale à 10 g). La transfusion est le traitement salvateur, indépendamment de la prise en charge de la cause de l’anémie, souvent liée à un paludisme. Et je dois dire que je n’ai vu nulle part dans ma carrière une disponibilité si rapide de sang compatible: moins de dix minutes après l’admission, le sang commence à couler dans les veines de l’enfant, et il ne manque jamais. C’est dire combien cette organisation est bien rodée.
Il y a des situations qui désespèrent, comme celle de cette mère avec une double mastite [inflammation du sein] sévère, dont le petit était hospitalisé pour un retard de prise pondérale et une pneumonie: on (tout le personnel!) n’a compris qu’après trois jours que l’accompagnante n’était pas la mère, lorsque celle-là a rejoint le service, déchargée du service voisin parce qu’elle était à court d’argent pour payer la suite du traitement. Après discussions, l’ONG a pris les coûts en charge mais le suivi est resté chaotique (elle n’a pas vu de médecin). La santé de cette maman s’est dégradée et l’on a finalement décidé de référer l’enfant (qui était sous notre responsabilité) et la mère dans l’hôpital national universitaire dans l’espoir d’une prise en charge adéquate.
L’accès aux soins pour toutes et tous est encore un rêve loin de se réaliser. En parallèle, l’enfant d’un responsable, pourtant pas très malade, a eu droit à un traitement hors de tout protocole (et pas forcément approprié) par «décision supérieure». Dans ces situations, on nous rappelle que nous ne sommes là que pour appuyer le Ministère de la santé. Ces passe-droits existent partout, ils sont insupportables dans un pays comme le Niger.
Il y a aussi ces enfants qui s’en sortent bien: je pense à une petite fille de 8 mois qui soudain ne se tenait plus assise, sans autre signe qu’une petite fièvre. Les examens faits à l’admission ont mis en évidence un paludisme que l’on a traité. Et, «comme par miracle», trois jours plus tard tout était rentré dans l’ordre. Ou ce garçon, atteint d’un paludisme grave et présentant des convulsions difficiles à juguler, avec une température à 40 en plateau pendant plus de vingt-quatre heures, que j’ai retrouvé cinq jours plus tard assis dans son lit, dévorant son repas.
Dans un tel service, on est face à l’urgence et l’on redonne une chance à des enfants qui, pourtant, retournent aussitôt dans la précarité de leur situation sociale. C’est en agissant à ce niveau-là, plus qu’en favorisant l’accès aux soins, que la santé s’améliorera sur le long terme. L’un ne va pas sans l’autre.
Notes
* Pédiatre FMH, conseiller communal à Aigle.