Après les grèves, les occupations
Le 7 février, au petit matin, des gymnasien·nes zurichois·es se sont rendu·es comme d’habitude à leur gymnase. Mais à leur arrivée, ielles ont accroché des bannières dans leurs salles de classe: «Schulbesetzung» (école occupée). Puis ielles ont commencé à dérouler leur propre programme: plénières d’information, discussions sur la crise climatique, repas gratuits…
Le but de cette action? Attirer l’attention sur les manquements du système éducatif actuel et formuler des revendications pour qu’il devienne socialement plus juste. Les activistes réclament notamment un système éducatif entièrement gratuit, incluant les études supérieures, les repas ou encore les trajets pour se rendre à l’école.
L’occupation s’engage aussi pour un système éducatif plus écologique. On peut légitimement se demander: quel rapport y a-t-il entre la crise climatique et le système éducatif? Justement, il n’y en a pas assez, selon le collectif Erde Brennt (La Terre brûle) qui est à l’origine de cette occupation: à l’école, la crise climatique n’est pas suffisamment thématisée. Le collectif exige des cours «d’actualité» qui permettraient de traiter explicitement la catastrophe climatique et les autres crises actuelles (Covid-19, guerre en Ukraine, etc.), ainsi que l’ouverture d’un espace où les élèves pourraient en discuter.
Car ces crises font partie de la vie des gymnasien·nes et affectent leur quotidien et leur santé mentale. Vue sous cet angle, une autre revendication du collectif Erde Brennt vient compléter logiquement la première: la demande d’un renforcement du soutien psychologique dans les écoles. On s’inquiète de l’augmentation du taux de dépression chez les jeunes, mais on ne parle que rarement des causes. Peut-être serait-il temps d’écouter les jeunes qui en formulent?
Il serait temps, aussi, de les écouter au sujet de ce qui peut être mis en place dans les écoles pour améliorer la santé mentale des jeunes. Le collectif demande aussi une diminution de la pression de la réussite et de la «méritocratie» scolaires. On devine déjà la réponse à cette demande sous la forme de l’éternel «ces jeunes qui ne veulent pas travailler». Dans ce cas, ce commentaire est autant prévisible que faux. Les activistes ne demandent pas de moins travailler, mais de pouvoir travailler différemment et d’apprendre d’autres choses. C’est d’ailleurs ce que montre le programme de l’occupation: pas d’occasion de s’ennuyer entre un workshop sur le féminisme intersectionnel et une discussion sur la gestion politique de la crise climatique.
Par ailleurs, l’occupation à Zürich s’inscrit dans un contexte plus large de critiques adressées au système éducatif qui mettent en avant que les écoles et les universités nous apprennent principalement à bien fonctionner et à être productif·ve dans un système économique capitaliste. On peut se rappeler par exemple du discours d’un groupe d’étudiant·es d’AgroParisTech lors de la remise des diplômes 2022, dans lequel ielles avaient présenté leur appel à «déserter» les emplois de l’agro-industrie parce qu’ils contribuent à la destruction environnementale3. Un tel discours aurait aussi tout à fait sa place dans le contexte des Ecoles polytechniques fédérales, où une nouvelle génération d’ingénieur·es est amenée à croire en la promesse de l’innovation technologique comme solution à tous nos problèmes.
Cependant, pas tout le monde y croit. Les jeunes qui doutent de la capacité du solutionnisme technologique à résoudre les problèmes actuels du monde se demandent pourquoi ielles devraient aller à l’école. L’occupation des écoles et des universités propose une réponse à cette question: il s’agit d’occuper des lieux et de les transformer pour qu’ils puissent nous aider à affronter les crises actuelles et à venir.
Les élèves des gymnases zurichois ne sont pas les seul·es à s’être fait ces réflexions. L’automne passé a vu l’émergence d’un mouvement mondial («End Fossil: Occupy!») d’occupation d’écoles et d’universités. Plus d’une cinquantaine d’établissements ont été occupés et des espaces de réflexion, plus ou moins pérennes, ont été créés. Le mouvement a récemment appelé à une nouvelle vague d’occupations à partir du 2 mai4 et une occupation se prépare actuellement à l’université de Bâle. L’occupation à Zurich était donc loin d’être la dernière action qui vise à transformer le système éducatif suisse.