Genève

«Ensemble, nous allons fermer Favra»

Une audience fleuve a eu lieu mardi devant le Tribunal administratif de première instance. Deux détenus ont raconté leur quotidien. Leurs avocat·es exigent la fermeture de la prison.
«Ensemble, nous allons fermer Favra»
Genève, le 18.04.2023 Audience au Palais de Justice en présence de la LSDH (Ligue suisse des droits de l'homme) concernant les conditions de détention liées aux renvois forcés. CEDRIC VINCENSINI
Justice

D’habitude, une telle audience est expédiée en cinq à quinze minutes. Mardi, elle aura duré six heures. Une procédure inhabituelle. Extraordinaire même. Puisque ce n’était pas seulement de la remise en liberté de deux détenus administratifs, en attente d’un renvoi dans leur pays respectif, dont il était question devant le Tribunal administratif de première instance, mais du procès de Favra.

Un établissement de détention administrative qui ne respecte pas l’article sur la torture de la Convention européenne des droits de l’homme, selon les avocat·es de la défense. Et le lieu du suicide d’un Tunisien de 30 ans, le 8 avril dernier, dans sa cellule, qui a suscité stupeur et colère.

«Je ne suis pas fière de n’avoir pas demandé plus tôt la libération immédiate de mon client au vu des conditions indignes et insalubres de détention dans cette prison», a argumenté son avocate, Me Dina Bazarbachi, au moment des plaidoiries. «M. Poggia affirme que le lieu n’est pas idéal, mais que les séjours y sont courts. C’est un mensonge. Ce drame aurait pu être évité. Les politiques, les juges, les avocats: nous sommes tous responsables d’avoir fermé les yeux.»

Plus tôt dans la journée, deux détenus avaient expliqué leur situation. Une parole rare. «Je suis à bout de souffle physiquement et psychiquement», a témoigné Monsieur M. En grève de la faim depuis 55 jours, il a perdu 18 kilos.

Quand il a menacé de faire «comme le Tunisien», il a été mis deux jours à l’isolement. «A poils, entre quatre murs avec un matelas en éponge et une couverture anti-feu. C’est Auschwitz modernisé.» Il évoque des codétenus «gavés d’antidépresseurs», des caméras partout, «plus que dans une centrale nucléaire», des problèmes dermatologiques, la saleté et l’absence d’intimité dans les douches communes.

Versions contradictoires

A ses côtés, Monsieur A., le «plus ancien à Favra et le plus proche des gardiens». Il a partagé sa douleur après le suicide de celui qui occupait la cellule voisine. «Je n’avais jamais vu un mort de ma vie. C’était mon ami. On ne peut pas faire comme s’il ne s’était rien passé.»

Il aura beaucoup été question des conditions de détention. La promenade, par exemple, est décrite comme un espace exigu, totalement bétonné et grillagé. De quelle taille? La moitié de la salle d’audience, selon la directrice de Favra, venue témoigner. Le quart aux dires de Marc Morel, membre du comité genevois de la Ligue suisse des droits humains, également appelé comme témoin par la juge. Pour lui, il est clair que «Favra ne répond pas aux critères minimums applicables pour la détention administrative».

A contrario, la directrice a vanté une salle de sports, même modeste et vétuste, le coin TV, avec table de ping-pong et micro-ondes, la cabine téléphonique ou encore un atelier rémunéré mis en place en collaboration avec le Centre social protestant. Elle a aussi parlé de la libre circulation en journée des détenus, chacun possédant la clé de sa cellule.

Les versions se sont cependant rapidement révélées contradictoires. Les dix détenus actuels ont-ils accès à l’espace extérieur? Oui selon la directrice, s’il y a suffisamment de gardiens. Non, à croire M. A., qui n’a pas pu sortir une seule fois en onze mois.

Selon la jurisprudence, les détenus devraient avoir accès à internet. Seul Skype a été installé dans une salle, mais personne n’a pu l’utiliser, a reconnu la responsable. «C’est un décor. Il y a un écran noir, mais pas de clavier», a dénoncé M. M. Or sur ce seul sujet, la libération de leurs clients peut être exigée, a pointé Me Léonard Micheli-Jeannet, avocat de M. A.

Jugement rendu plus tard

Versions encore antagonistes concernant la présence de cafards, le cachot, la bibliothèque, l’accès aux soins ou encore les fouilles avec mises à nu et flexions pour vérifier les parties intimes au retour de l’hôpital ou avant de se rendre au Palais de justice. «C’est pour cela que je ne voulais pas venir aujourd’hui, c’est une humiliation avant et après», témoigne encore M A.

Également présent, un représentant de l’Office cantonal de la population et des migrations a rejeté les deux demandes de remise en liberté. M. M. vient de déposer une demande d’asile qui doit être examinée par le Secrétariat aux migrations. Une démarche vaine – vu que l’homme est sous le coup d’une procédure d’expulsion judiciaire – et qui ne fait qu’allonger la détention à Favra, a-t-il estimé.

Quant à M. A., en l’absence de documents d’identité, son origine tchadienne est remise en cause à la suite d’un test de langue et d’un rendez-vous avec une délégation de l’ambassade qui n’a pas donné de résultats.

«Les structures conçues pour la détention administrative doivent éviter toute impression de détention carcérale, les occupations proposées doivent être motivantes, l’accès au plein air et à internet garantis», a conclu Me Léonard Micheli-Jeannet. Et de dénoncer un projet politique. «Il faut arrêter de détruire la vie de personnes pour tenter de justifier la construction de nouvelles prisons. Si on ne peut pas détenir les personnes dans des conditions décentes, on ne les détient pas.»

La cause a été gardée à juger, la décision sera rendue prochainement.

La responsabilité du Conseil d’Etat questionnée

La Ligue suisse des droits de l’homme (LSDH) estime que le Conseil d’État genevois, en refusant de fermer Favra immédiatement, porte «une lourde responsabilité à l’égard de toutes les personnes qui s’y trouvent encore détenues aujourd’hui.». Sollicité, le conseiller d’Etat socialiste Thierry Apothéloz n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Chargé de la Sécurité, son collègue Mauro Poggia a lui sèchement réagi. Il estime que les conditions de détentions «n’ont rien d’indignes, avec un accès à l’extérieur durant toute la journée, puis, le soir et la nuit, un confinement en quartier, et non en cellule».

Pour le magistrat MCG, la LSDH ne veut pas de meilleures conditions de détention administrative, mais la «suppression pure et simple de cette détention»: «Si les milieux qui sont le plus virulents contre la détention administrative, ne faisaient pas systématiquement opposition à tout nouveau bâtiment mieux adapté, nous n’en serions pas là. Ces militants se plaignent d’une situation dont ils sont les principaux artisans.» Un argument auquel les avocat·es ont répondu durant leur plaidoirie.

Quant à l’encadrement médical dont bénéficient les personnes réfugiées en Suisse, Mauro Poggia estime qu’il «pourrait nous être envié par la majorité des autres cantons».CPR

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