Tenir leur promesse!
Je fréquente régulièrement les théâtres, bien que je ne sois pas une professionnelle du domaine culturel. Oui, je suis une amoureuse des arts vivants depuis longtemps. Je me sens privilégiée de recevoir ma dose d’oxygène plusieurs fois par semaine, grâce à la diversité de l’offre culturelle qui me permet de continuer à vivre dans cette société de plus en plus asphyxiante.
Début décembre 2022, j’ai été choquée d’apprendre que la direction du théâtre du Grütli, devenu Centre de production et de diffusion des arts vivants, en accord avec son projet initial, terminerait son mandat à la fin juin 2024 comme prévu normalement par la convention qui la lie à la Ville de Genève. Mais, mais, mais… une situation exceptionnelle est survenue entre-temps et a bousculé la normalité en provocant la fermeture des lieux culturels pendant deux ans. Cela ne s’était encore jamais produit, en tout cas depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Je n’ai pas fait une recherche historique pour savoir si les théâtres étaient fermés pendant la guerre, mais j’en doute. Les codirectrices, pendant la fermeture, devaient régler nombre de situations compliquées, maintenir les contacts avec les compagnies, tout en tentant de continuer à développer leur projet pour le rendre pérenne, alors que tout le monde vivait dans l’anormalité à titres divers.
Quoi de plus anormal pour un théâtre, privé de son public, de ne pouvoir développer pendant tout le temps imparti un projet qui a fait qu’on a été choisies pour diriger ce lieu! Tout bien considéré, à partir de mon rôle de spectatrice, le temps effectif – avec le public – de ce mandat aura été de quatre ans, soit une diminution d’un tiers de sa durée, ce qui n’est pas rien… Logiquement, à situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Une prolongation de mandat pour compenser les deux années fortement perturbées pourrait être considérée comme allant de soi, mais cela n’est pas le cas. Pourquoi?
Cette question m’a motivée à écrire au Département de la culture et de la transition numérique (DCTN): un message qui a reçu réponse sous la forme d’un entretien en mars 2023. J’y suis allée en compagnie d’une personne dont j’avais fait la connaissance entre-temps. Nous étions pareillement choquées et nous nous posions les mêmes questions. Lors de l’entretien, il nous est apparu que le phénomène, implanté depuis longtemps aux Etats-Unis et s’exerçant plutôt dans le domaine privé, est arrivé ici sous forme de la judiciarisation des processus dans l’administration publique – pour la situation qui me préoccupe, au sein du DCTN.
Sous prétexte de défendre les artistes, des personnes se sentant lésées (parce que non choisies à la direction des théâtres de l’Orangerie et du Grütli), soutenues par des avocats pugnaces qui aiment les feux de la rampe, attaquent les pouvoirs publics qui deviennent de plus en plus craintifs et se ligotent eux-mêmes. Cette tendance lourde n’est pas près de s’éteindre, puisqu’elle est efficace.
Dans cette optique, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’article de Cécile Dalla Torre intitulé «C’est du harcèlement judiciaire»: l’interview de Sami Kanaan, magistrat en charge du DCTN, apporte du grain à moudre à ma réflexion. Si le pouvoir politique baisse les bras face aux attaques des avocats, il reste heureusement les citoyen·nes pour résister. La pétition «Tenir leur promesse», lancée par un groupe de soutien dont je fais partie, a récolté plus de 600 signatures à ce jour. Elle explique clairement les enjeux en cours. Pour les personnes qui le souhaitent, il est encore possible de la signer.
Rosangela Gramoni, Genève.