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Mieux vaut recourir à un arbitrage

Les procédures arbitrales offrent des avantages par rapport aux voies judiciaires traditionnelles. Ainsi, l’arbitrage serait mieux à même de régler certains points de litige lors d’un divorce, par exemple. En Suisse, on y recourt peu souvent. Coup d’œil sur la pratique.
Justice

Avec son siège lausannois et ses décisions médiatisées, le Tribunal arbitral du sport aura sans doute éveillé la curiosité des Suisses. Mais la justice arbitrale ne s’arrête pas au domaine sportif. Dommages et intérêts, conflits de voisinage, commerce international… Elle permet de régler les litiges autrement, hors des tribunaux étatiques.

Dans les pays anglo-saxons, on y recourt aussi pour résoudre les conflits familiaux – pensions alimentaires, répartition des biens, voire garde parentale. En Suisse, c’est beaucoup plus rare. Quelles limites le cadre légal helvétique fixe-t-il à l’arbitrage familial, notamment pour les questions qui concernent les enfants et le divorce? Une telle solution pourrait-elle être adoptée par une majorité des quelque 30 000 personnes qui divorcent chaque année en Suisse? Clara Wack, doctorante en droit à l’université de Fribourg, veut répondre à ces questions dans le cadre de sa thèse.

La justice arbitrale repose sur un accord entre les parties: au lieu de confier la résolution de leur conflit à un juge, elles font appel à un arbitre. Ce choix garantit une certaine confidentialité. Il favorise généralement une issue plus rapide que la voie judiciaire. Les parties s’engagent à respecter la décision rendue, qui est contraignante comme un verdict classique. «Cet aspect contraignant constitue la principale différence avec la médiation, souvent utilisée en Suisse dans les conflits familiaux, explique Clara Wack. Une fois qu’une partie est impliquée dans le processus, elle ne peut plus se rétracter.»

La justice arbitrale est reconnue dans les 159 pays signataires de la Convention de New York. Mais le type d’affaires qui peuvent être soumises à l’arbitrage varie selon les pays. Selon le droit suisse, les litiges entre personnes domiciliées en Suisse ne peuvent être réglés par voie d’arbitrage que «si les parties peuvent en disposer librement conformément à la loi», explique Clara Wack. «Ce n’est généralement pas le cas pour les questions relatives à la relation entre parents et enfant, qui sont soumises au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et sont régies par la loi.» La garde ou le droit de visite relèvent donc obligatoirement de la compétence d’un juge traditionnel.

Ce qui peut entrer dans le cadre de l’arbitrage familial s’inscrit au cœur des travaux de Clara Wack. Certaines questions sont relativement simples à trancher, d’autres plus complexes. Par exemple quand il s’agit de répartir entre les époux les biens acquis pendant le mariage: «Actuellement, les auteurs tendent à interpréter ces litiges comme ‘librement disponibles’, c’est-à-dire réglables sans la supervision d’un juge. Mais la question reste controversée. Pour les pensions, c’est encore plus débattu.» Avec sa thèse, Clara Wack ne cherche pas à promouvoir l’arbitrage dans les conflits familiaux, mais à comprendre, techniquement, quelle place lui laisse le droit suisse. Au-delà de ces questions techniques, la chercheuse s’intéresse aussi à d’autres aspects. Par exemple: cette alternative plus coûteuse est-elle également envisageable lorsque les deux parties ne disposent pas des mêmes ressources financières?

L’arbitrage présente certes des avantages par rapport à la voie judiciaire classique: rapidité, flexibilité – les parties choisissent elles-mêmes le juge – et discrétion, entre autres. De plus, les décisions sont souvent plus simples à faire appliquer à l’international. «Dans le domaine des conflits familiaux, cela me semble sans doute l’un des points les plus intéressants», explique Clara Wack.

Mais Laura Bernardi, sociologue à l’université de Lausanne et experte des questions familiales, rappelle aussi que l’important reste avant tout d’éviter les différends. En l’absence de litige, il existe d’ailleurs des alternatives à la voie judiciaire. «Le Valais a récemment introduit le concept de consensus parental. C’est une sorte de médiation élargie, lancée d’emblée avec les juges, les travailleurs sociaux, les médiateurs et les psychologues. Pour la grande majorité des cas, cette procédure a permis de trouver un accord dès la première séance.»

Selon Laura Bernardi, les procédures judiciaires actuelles exacerbent souvent les conflits parentaux. C’est pourquoi elle est favorable à certaines évolutions. «Mais s’il doit y avoir arbitrage, le danger existe que la procédure ne respecte pas les contraintes légales posées par l’Etat. A la fin, il faudra toujours prendre garde à ce que l’intérêt des parents ne l’emporte pas sur celui des enfants.»

* Paru dans Horizons no 136, mars 2023, magazine suisse de la recherche, FNS, www.revue-horizons.ch

 

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