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Les yeux de Nénette

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Elle a 54 ans, dont trois dans la nature à Bornéo, le reste en captivité. Un âge que ses congénères Orangs-outans n’atteignent pas dans la nature, mais auquel des grands singes parviennent en captivité. Ce qui souligne combien la vie libre est dure! Nénette ne bondit plus, tête en bas ou en l’air, comme les jeunes qui partagent son enclos. Mais, même lente, elle n’a pas besoin de déambulateur. Je l’ai connue jeune et lui rends visite depuis, à la ménagerie du Jardin des plantes, à Paris. Je ne suis pas le seul et elle a eu de nombreux fans, parmi lesquels Michel Polac et François Cavanna.

Ce dernier a écrit de nombreuses pages à son sujet. Tout opposé au principe des zoos qu’il était, il ne manquait pas de rendre de nombreuses visites à celle dont il a même écrit une nécrologie, republiée cette année dans Le dernier qui restera se tapera toutes les veuves1>Aux Nouvelles Editions Wombat. Lire la chronique
«Cavanna bande encore!», Le Courrier du 7 février 2023.
. Car aucune image, aucun film, ne rendra l’identification et l’empathie que l’on ressent en regardant certains animaux dans les yeux. En particulier les grands singes, si «humains» qu’ils nous rendent définitivement singes, comme eux! Et c’est le cas de Nénette qui, quand elle est de bonne humeur, peut vous regarder pendant de longs moments. Alors oui, de quel droit emprisonnons-nous ces semblables pour les regarder? Mais aussi, de quel droit détruisons-nous leurs territoires pour planter des palmiers à huile, afin de faire de la pâte au chocolat et des additifs alimentaires? Ce qui en tue de bien plus nombreux, qui ont les mêmes yeux, que nous ne verrons jamais…

Aujourd’hui l’agrobusiness, la déforestation, une chasse résiduelle et les trafics de jeunes, dont on tue les mères, exterminent toutes les espèces de grands singes dans la nature. Souvent dans des conditions abominables. Les plans de sauvetage des parcs zoologiques font que leurs prisonniers, qui s’y reproduisent souvent bien, sont le seul espoir de survie de beaucoup d’espèces animales en cours d’extinction, en particulier de ces grands singes privés de leurs habitats et de leurs ressources vitales. Ces plans avaient pour projet initial la réintroduction des espèces disparues dans la nature. Mais que devient ce projet quand nous supprimons cette nature indispensable à la vie sauvage et qu’il n’y a plus de territoires à repeupler? On conserve des populations captives. Mais elles s’adaptent tant à leur nouvel environnement humain qu’il est impossible de les rendre à une vie sauvage sans les techniques de survie et les traditions de leurs congénères «libres».

Les grands singes sont les témoins précieux de la généalogie des ancêtres mystérieux que nous partageons avec eux, comme la quasi-totalité de notre matériel génétique. Ils nous en disent plus sur nos origines que tous les fossiles connus, lesquels proviennent de collatéraux, comme eux, mais si dégradés qu’ils fournissent plus de spéculations que d’informations, hormis leurs précieuses datations. La connaissance des grands singes vivants, de leurs aptitudes (très supérieures aux nôtres dans certains domaines), de leurs émotions, de leurs traditions, de leur adaptabilité et de leurs systèmes de communication est encore très partielle, alors que c’est un enjeu scientifique essentiel pour comprendre ce que nous sommes et comment nous le sommes devenus.

Les humains sont une des très rares espèces à avoir peuplé des milieux très différents. Nous sommes la seule à multiplier les modes de vie, les structures sociales et des cultures aussi différentes les unes des autres. Mais nous sommes aussi la seule espèce à tant détruire nos semblables et les ressources dont nous dépendons. Préparant notre disparition après avoir pullulé, nous ressemblons plus aux rats qu’à nos cousins simiesques, qui n’ont pas l’habitude de scier les branches sur lesquels ils s’assoient!

Aussi, c’est peut-être entre l’ADN et le regard de Nénette que nous pourrons, un jour, répondre scientifiquement à cette autre question de Cavanna, toujours lui!: [Comment] le singe devint con?2>En référence au livre de Cavanna Et le singe devint con, Editions du Square, 1972, ndlr.

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lundi 8 janvier 2018

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