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Voter une chose et son contraire?

Bernard Pinget relève que certains textes légaux comportent un risque d’amalgame entre genre et sexe.
Genre

Paru dans Le Courrier du 17 février, l’article «Double révolution en Espagne» rapporte deux votes du parlement espagnol qui feront date. L’un adopte une loi légitimant l’arrêt de travail en cas de règles douloureuses, l’autre instaure la possibilité pour tout·e citoyen·ne espagnol·e de changer d’identité de genre sans autre justification que sa volonté personnelle, et ce dès l’âge de 16 ans.

Le premier texte voté est manifestement une avancée sociale qui ne saurait être remise en cause. L’histoire dira ce qu’il adviendra du deuxième.

Mon propos n’est pas d’entrer dans une argumentation pour ou contre la déconnexion du genre et du sexe. Dans les Etats qui ont déjà adopté ce type de lois, quelques femmes cis ont été troublées de partager leurs vestiaires avec d’autres femmes, barbues et munies de tous leurs attributs virils, et ces dernières ont parfois été fortement soupçonnées d’avoir instrumentalisé la loi. Ce n’est sans doute qu’un soubresaut de l’histoire qui s’oubliera bien vite. Près de trois millions d’années nous ont habitué·es à identifier nos appartenances sexuelle et générique; il est bien naturel qu’un peu de temps soit nécessaire pour modifier cette habitude. Mais l’article du 17 février soulève une certaine incohérence qu’il ne paraît pas avoir perçue.

En effet, il décrit la loi sur l’arrêt de travail en cas de règles douloureuses comme concernant les femmes. Or, en vertu de l’autre loi votée le même jour, rien ne légitime plus d’associer la notion de menstruation au genre féminin. En le faisant, on dénierait aux hommes trans qui ne désirent rien changer à leur anatomie féminine leur appartenance au genre masculin.

L’autrice J.-K. Rawling s’est vu vertement rappeler à l’ordre (c’est le moins qu’on puisse dire) parce qu’elle avait cru bon d’affirmer sur un réseau social qu’il existait un mot pour désigner les personnes menstruées, et que ce mot était «femme» (cela se passait en anglais, mais je ne trahis pas l’idée). Il me semble que la leçon n’a pas été entendue par les journalistes des agences ATS et AFP d’où provient l’article.

J’ose espérer que le texte de la loi en question ne tombe pas dans le même travers. Ainsi d’ailleurs que tous les autres textes légaux qui, en Espagne, comportent le risque d’amalgame entre genre et sexe. Il serait malheureux, par exemple, que Monsieur Garcia, à chacun de ses accouchements, se voie privé de congé d’allaitement sous prétexte que celui-ci ne serait légalement octroyé qu’aux femmes.

En élargissant un peu le point de vue, on en vient à constater que le problème ne concerne pas que l’Espagne. Si le même M. Garcia s’établit en Suisse, un employeur peu scrupuleux pourrait contester son droit aux avantages sociaux que la loi de notre pays reconnaît aux femmes enceintes et aux jeunes mères, en prétextant qu’elle n’accorde rien aux hommes enceints ni aux jeunes pères qui allaitent.

Par souci d’équité envers les ressortissant·es de pays plus en avance que le nôtre sur la question de l’identité, il est donc urgent de s’attaquer à la modification de nos textes de lois.

Bernard Pinget, Veyrier (GE)

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