Le droit de savoir
Nous publions dans notre édition de ce vendredi un dossier sur une affaire qui nous occupe depuis une année. Promoteur et homme d’affaires bien connu à Genève, Stéphane Barbier-Mueller a réussi à coups de procédures judiciaires à bloquer un article… depuis mars 2022!
Coprévenu dans l’affaire Raiffeisen – le procès économique de l’année, tout de même –, il est parvenu à faire taire bon nombre de médias, dont certains autrement plus puissants que Le Courrier. Dans notre cas, les velléités de notre journal d’évoquer son implication ont abouti à des mesures dites superprovisionnelles. Une juge a bloqué préventivement un article non encore publié.
S’est ensuivie une longue procédure où nous avons eu, à chaque étape, gain de cause devant la justice genevoise: mesures superprovisionnelles, provisionnelles, puis recours de l’intéressé. Battu en dernière instance cantonale, il a choisi de ne pas aller plus loin, le Tribunal fédéral en l’occurrence. Avant d’initier une nouvelle procédure au niveau cantonal qui est toujours pendante.
Ce jeu du chat et de la souris n’a que trop duré. Ayant été confirmé dans notre opinion que M. Barbier-Mueller est bien une personnalité publique et que, partant, conformément aux us et coutumes de la profession, son nom peut être cité, nous publions ce dossier. Aux lecteurs et lectrices de juger.
Au-delà du cas d’espèce, il s’agit d’une question de principe, celui de la liberté de la presse et de la publicité des débats judiciaires. Il n’est pas normal qu’en actionnant des plaintes tous azimuts, il soit possible pour une personne disposant de moyens financiers considérables de museler de la sorte la presse. Le droit suisse est pour le moins hostile aux médias en la matière. Ces derniers sont de plus en plus assaillis de plaintes en tout genre. Et la législation est ainsi faite que, contrairement à d’autres pays, ils perdent. Ce qui incite à la prudence.
Ces entraves se retrouvent dans d’autres affaires. Les Swiss leaks n’ont pu être évoqués que de manière allusive par la presse helvétique, contrairement au reste du monde! La Suisse a reculé de quatre places dans le classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières. Et Le Courrier se bat depuis huit ans dans l’affaire Gandur que nous avons portée devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Le droit de savoir est un des fondements de la démocratie et de son bon fonctionnement. La Suisse, qui se voit en modèle en la matière, doit de toute urgence se livrer à une introspection quant à sa pratique restrictive des libertés publiques.