Chroniques

La fragilité du système de santé nigérien

À votre santé!

C’est du Niger que j’écris cette chronique, où je séjourne depuis un mois, travaillant dans le cadre d’un projet de Médecins sans frontières (MSF) Suisse, dans la région sud, proche de la frontière avec le Nigeria. C’est la saison sèche, mais les familles disposent encore, en principe, des aliments récoltés à la fin de la saison des pluies, en octobre-novembre. Le pic des maladies, dominées par la malaria et la dénutrition en ce qui concerne les enfants de moins de 5 ans, débute en juillet, où les cas sont quatre à cinq fois plus fréquents que maintenant. Pourtant le travail ne manque pas. J’y reviendrai dans une autre chronique.

Ce qui frappe d’emblée c’est que, même si sur le papier le système de santé est bien organisé avec des soins communautaires, des centres de santé primaire, des hôpitaux de district, régionaux et nationaux, la situation sur le terrain est plus complexe. Souvent, les postes de soignant·es sont vacants, ou les médicaments et le matériel de soins manquants. Dans la région où je suis, l’hôpital de district n’a que deux médecins (dont l’un attaché essentiellement à des tâches administratives) alors que la population compte près de 500 000 habitant·es. Il n’y a pas de radiologie et le laboratoire est minimal, beaucoup plus sommaire que n’importe quel cabinet médical en Suisse.

Heureusement, MSF se charge de la pédiatrie (malheureusement sans néonatologie et uniquement pour les enfants de moins de 5 ans) et travaille avec un personnel suffisant pour les quelque 80-100 patient·es hospitalisé·es en saison basse. Mais cette situation est exceptionnelle puisque même le service de pédiatrie universitaire de Niamey, la capitale, est beaucoup moins bien doté.

Dans ces conditions, en plus des réticences culturelles souvent invoquées pour expliquer le retard dans le recours aux soins, on comprend, au vu de l’indigence de tel centre de santé ou de la maternité de l’hôpital de district, que personne n’a franchement envie de s’y faire soigner. Ce qui explique aussi le peu d’accouchements en milieu médicalisé et, hélas, la mortalité maternelle extrêmement élevée. Selon les chiffres officiels, plus de 500 femmes sur 100 000 meurent en couches – alors que les Objectifs du développement durable (ODD) de l’ONU ciblent un taux mondial de mortalité maternelle inférieur à 70 pour 100 000 d’ici à 2030.

Plus inquiétant encore: l’apparition récurrente d’épidémies de coqueluche – comme c’est en ce moment le cas dans la région où je suis – de méningite – actuellement présente dans le nord du Nigeria et les villages frontières du Niger –, de rougeole ou encore de choléra. Sans compter la réapparition de diphtérie, que l’on n’avait plus vue depuis au moins une décennie. MSF a grandement aidé le Ministère nigérien de la santé dans une campagne de riposte vaccinale antidiphtérique en décembre 2022, puis ce mois-ci, apparemment avec un certain succès. Toutes ces maladies peuvent être prévenues par des vaccins dont l’efficacité a été largement démontrée depuis longtemps. Un programme national de vaccination existe au Niger, mais visiblement il a été fragilisé ces dernières années.

On évoque régulièrement le manque d’adhésion de la population aux vaccins, mais la pandémie de Covid-19 a joué un rôle important dans la désorganisation des programmes nationaux de santé tels que vaccination, contrôle de grossesse, lutte contre la tuberculose ou le VIH, car nombre de soignant·es ont été concentré·es sur la vaccination Covid ou n’ont pu accéder aux communautés en raison des restrictions de déplacement. La population, surtout rurale, paie cash! C’est d’autant plus rageant quand on sait que de nombreux et nombreuses soignant·es – y compris des médecins – sont sans travail, et que le Ministère de la santé n’ouvre pas de nouveaux postes.

Il faut dire que le budget de l’Etat nigérien n’est que la moitié du budget du canton de Vaud et celui de la Santé représente un tiers de celui du CHUV, pour une population évaluée à 24 millions. Notons ensuite que le taux d’alphabétisation est de moins de 30% et que, encore aujourd’hui, près d’un enfant sur deux ne va pas à l’école, ce qui n’arrange rien. Sans dire que le taux de fécondité est considéré comme le plus élevé au monde, avec 6,6 enfants par femme en 2021, selon les chiffres officiels. Et, quand le gouvernement mise sur l’oléoduc en construction qui devrait permettre d’exporter du pétrole via le Bénin pour assurer le développement du pays, on peine à s’en convaincre, sachant que, dès les années 1960, le Niger a été notamment le grand fournisseur d’uranium de la France, sans que la population locale n’en profite. Il n’est guère étonnant que les Nigérien·nes se méfient de la France et que certains gouvernements régionaux s’en détournent, même si le soutien de la Russie ou de la Chine n’est malheureusement pas plus désintéressé.

On voit mal comment les ODD seront atteints en 2030: c’est un échec programmé pour l’ensemble de la communauté internationale. Et un désastre pour la population nigérienne.

Opinions Chroniques Bernard Borel A votre santé!

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lundi 8 janvier 2018

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