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La ville est-elle à vous?

En réaction à l’éviction des occupant·es de l’immeuble du 8, rue Royaume, aux Pâquis, un collectif de chercheurs et chercheuses universitaires appelle le Conseil d’Etat à lutter contre la spéculation immobilière et les inégalités de logement.
Genève

Le jeudi 9 février, la police évacuait brutalement un immeuble situé au 8, rue Royaume, dans le quartier des Pâquis. Ce dernier, inhabité depuis deux ans, avait été occupé le matin même par un collectif visant à dénoncer la spéculation immobilière et la gentrification aux Pâquis et plus généralement à Genève, tout en réinvestissant le lieu délaissé.

En tant que chercheur·euses (pré)occupé·es par les politiques genevoises d’aménagement urbain et les mouvements militants, nous tenons à rappeler le contexte dans lequel l’évènement s’inscrit, afin de souligner les incohérences accompagnant la réponse du gouvernement face à l’occupation. Nous aimerions notamment renvoyer le Conseil d’Etat genevois à ses déclarations d’intentions en matière de politiques publiques d’aménagement du territoire et d’urbanisme.

Dans sa brochure nommée «Envie» accompagnant le plan directeur cantonal 2030, le canton se fait le porte-parole des habitant·es de Genève: une envie «de liberté», «de ville», «de créer», «de lien», «d’habiter», trouve-t-on sous le titre la brochure. Or, de telles envies semblent au cœur de l’occupation – résolument pacifiste – mise en place par le collectif du 8, rue Royaume.

Les inégalités face au logement sont également un axe majeur du plan directeur cantonal 2030. D’un côté, les autorités cantonales déplorent la posture des propriétaires refusant, par voie de votation, des logements à celles et ceux qui cherchent à se loger («Les privilégiés, les bien-logés, ferment les portes aux autres»1>Genève Envie, Plan directeur cantonal 2030», 2021, p. 16.) mais, de l’autre, le bâti inoccupé est laissé au jeu fructueux de la spéculation. Il est frappant de voir que l’exemple employé, toujours dans «Envie», est celui d’un immeuble de la Jonction ayant pris feu en 2012, «habité pour moitié par des sous-locataires en situation illégale (qui) vivent dans un rapport de quasi-vassalité à l’égard de leur bailleur».2>Genève Envie, Plan directeur cantonal 2030», 2021, p. 16. Soit un copié-collé de la situation vécue par de nombreux habitant·es du 8, rue Royaume, dont l’immeuble laissé à l’abandon prit également feu par manque d’entretien. Ironique, l’utilisation d’une telle illustration pointe, au mieux, l’inaction responsable, au pire, le laisser-faire coupable du gouvernement.

Au-delà de la problématique du logement, l’action d’aménagement voulue par un Conseil d’Etat désireux d’un «territoire inclusif et solidaire» à l’horizon 2050 s’est également accordée au diapason de la participation citoyenne. Des «forums ouverts», «ateliers citoyens», ou encore une contribution aux «cahiers de la transition», autant de démarches visant à rendre l’aménagement et l’urbanisme plus démocratique. Pour autant, les expressions des revendications habitantes (que nous choisissons d’utiliser en lieu et place de «citoyennes») ne peuvent se limiter à des cadres fixés par l’Etat. Celles-ci sont multiples, diverses et légitimes en tant qu’expression démocratique et populaire. En conséquence, elles ne sauraient être balayées (à coups de matraques) au motif d’un argument de légalité. Pire, leur répression est un signe particulièrement inquiétant d’une volonté de mise en ordre et de contrôle de l’espace social urbain.

Enfin, la feuille de route accompagnant la création du tout nouveau plan directeur (2050) promeut «l’expérimentation» et «l’hospitalité» comme valeurs cardinales. Le Conseil d’Etat a-t-il oublié que l’hospitalité et les expérimentations sociales, politiques et culturelles étaient au cœur de l’histoire de Genève? A moins qu’il ne s’agisse uniquement des formes «autorisées» d’expérimentation, et de l’hospitalité de ceux rendant le territoire compétitif?

Nous invitons donc le Conseil d’Etat à s’attaquer aux problèmes de fond que sont la spéculation immobilière et les inégalités face au logement, plutôt que donner toujours une priorité absolue à la défense et la sacralisation du droit à la propriété privé, même lorsque celui-ci est exercé de manière antisociale. Une telle politique publique pourrait amener de la cohérence entre ses actions et les intentions édictées dans les différentes déclarations publiques et visions directrices pour l’avenir de Genève. Sans quoi, «la ville est à vous»3>Déclinaison de «La rue est à vous», une série d’événements organisés aux Pâquis de 1993 à 2003 à l’initiative de la maison de quartier et des habitant·es., comme le suggère le nom des festivités habitantes organisées dans différents quartiers de Genève, ne saurait être rien de plus qu’un slogan communicationnel.

Notes[+]

Collectif de recherche sur et par l’activisme et les mobilisations. Le CRAM réunit des chercheur·euses en sciences sociales (sociologie, études genre, géographie, aménagement du territoire) issu·es de différentes universités de Suisse romande.

Pour signer l’appel: https://framaforms.org/la-ville-est-elle-a-vous-1676542139

Contact: cramch@protonmail.com

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