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La neutralité humanitaire, jamais apolitique

Dans un récent dossier consacré à la «neutralité», la revue Pages de gauche questionne l’usage du concept dans le domaine de l’intervention humanitaire. Eclairage.
Action humanitaire

Historiquement, la neutralité des organisations non gouvernementales (ONG) humanitaires trouve son origine dans les premiers statuts de 1863 du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui posent les quelques principes au fondement de l’action humanitaire. Selon cette conception de la neutralité, l’aide humanitaire ne doit en aucun cas favoriser un camp lors d’un conflit armé ou un groupe social en cas de situation d’urgence telle qu’une catastrophe naturelle. Ce principe s’accompagne de celui d’impartialité qui a pour objectif de garantir que l’aide soit fournie en fonction des besoins et sans la moindre discrimination en termes de race, genre, religion, politique, nationalité, etc.

En outre, l’action humanitaire doit être guidée par le principe d’humanité et, ainsi, avoir pour seule et unique finalité de soulager les souffrances humaines, tout en demeurant particulièrement attentive au sort des populations vulnérables. Enfin, ce dernier point veut aussi que le travail humanitaire soit indépendant de toute visée économique ou encore militaire. La neutralité humanitaire est par conséquent nécessairement engagée et politique.

Garantir les droits fondamentaux. Le besoin de garantir une intervention neutre surgit avant tout en situation de conflit, la neutralité protégeant de fait le personnel humanitaire fournissant une assistance. Pour une organisation humanitaire, la neutralité implique de défendre et de mettre en pratique l’idée qu’en temps de guerre ou d’urgence, les personnes dans le besoin ont le droit d’être assistées indépendamment de leur camp, de leurs origines, mais aussi des éventuels crimes qu’elles auraient commis.

Cette conception prend racine dans le concept de droit fondamental, qui veut que tous les êtres humains naissent libres et égaux et aient en tout temps accès à une assistance sanitaire, des vivres, de l’eau potable ou une défense judiciaire. Chacun·e a certainement en tête de nombreux exemples historiques dans lesquels des civil·es d’un pays en guerre ont été délibérément visé·es par des belligérant·es ou des circonstances lors desquelles des droits fondamentaux d’opposant·es politiques, de prisonnières·ers de guerre, de personnes suspectées de crimes ou accusées de terrorisme n’ont pas été respectés. Les organisations humanitaires se sont construites sur la défense de ces droits, même lorsque les Etats ne veulent pas ou ne sont pas en mesure de les garantir.

Indépendance économique. L’impartialité de l’action humanitaire dépend grandement de l’indépendance économique des associations y pourvoyant. Si une des ONG qui patrouillent actuellement en Méditerranée pour venir en aide à des personnes migrantes venait uniquement à dépendre de financements publics d’un Etat membre ou de l’Union européenne, elle serait d’autant plus vulnérable aux chantages politiques exercés par l’extrême droite et les gouvernements qu’elle dirige. Evidemment, tout financement privé amène aussi avec lui son lot de problèmes. Ainsi, l’externalisation des levées de fonds et le recours à des entreprises méprisant les conditions de travail de leurs collectrices·eurs en est l’un des plus significatifs.

Confondre neutralité et posture apolitique. Dans le cas du CICR, être neutre implique de ne pas prendre part «aux hostilités et, en tout temps, aux controverses d’ordre politique, racial, religieux et idéologique». S’il est possible de comprendre le besoin de garantir une assistance humanitaire, l’idée que certaines circonstances, ou actions, ne seraient pas politiques transparaît. Confondre neutralité humanitaire et absence de positionnement politique conduirait pourtant à une impasse. Défendre les droits fondamentaux de façon universelle est bel et bien un positionnement politique. Le sauvetage de personnes en Méditerranée, tel qu’il est mené par de nombreuses ONG, en est certainement le meilleur exemple. Si la neutralité humanitaire revendiquée de ces associations leur permet justement d’appliquer le droit de la mer, indépendamment des positions prises par leur gouvernement d’origine, elles s’engagent de la sorte sur le terrain politique.

Défendre la neutralité des ONG humanitaire revient finalement à soutenir l’idée que nous naissons avec des droits fondamentaux et qu’un système qui ne le reconnaît pas doit être combattu.

Paru dans Pages de gauche no 186, hiver 2022-2023

Opinions Agora Emma Sofia Lunghi Action humanitaire

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