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Un air de déjà vu à Tunis

En Tunisie, des militant·es des droits humains chevronné·s se mobilisent contre de nouveaux procès politiques. Dont celui de l’avocat Ayachi Hammami, inquiété pour avoir défendu l’indépendance des juges.
Justice

Sous la longue présidence de Zine el-Abidine Ben Ali, la police empêchait, dans une large mesure, les associations et défenseurs des droits humains de se rassembler. Mais souvent, lorsqu’un procès politique très médiatisé avait lieu, une foule d’activistes se rassemblait devant le Tribunal de première instance de Tunis pour soutenir les accusés.

Malgré la répression de plus en plus sévère1>HWR, Rapport mondial 2023: Tunisie, accès: bit.ly/3ZYnVmP qui sévit depuis que le président Kais Saied s’est arrogé des pouvoirs extraordinaires le 25 juillet 2021, la société civile en Tunisie reste plus libre aujourd’hui que sous Ben Ali, chassé en janvier 2011 après plus de vingt ans au pouvoir. Mais le 10 janvier, une affaire politique préoccupante contre un militant de longue date a ramené de nouveau la flash mob des droits humains sur ce même trottoir, en face du tribunal.

Elle a rassemblé un nombre rarement observé, depuis la révolution qui a conduit à la chute de Ben Ali, d’activistes, d’avocats et d’anciens prisonniers politiques de cette époque, qui ont rejoint leurs camarades plus jeunes, en solidarité avec l’avocat des droits humains Ayachi Hammami, 63 ans, qui comparaissait ce matin-là.

Hammami est accusé d’avoir, dans une interview2>Shems FM, 29 déc. 2022, bit.ly/3ZSYump accordée à la radio le 29 décembre 2022 en tant que coordinateur du Comité de défense des juges révoqués, condamné les efforts du président Saied visant à éviscérer l’indépendance de la justice3>Communiqué de presse du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, 8 février 2022, bit.ly/3XwUSFe. Le 1er juin 2022, Saied s’est arrogé le pouvoir4>HWR, «Tunisie: Les révocations arbitraires de magistrats, un coup dur contre l’indépendance de la justice», 10 juin 2022, bit.ly/3XInJ9q de démettre les magistrats, et le même jour en a licencié 57. Hammami a accusé la ministre de la Justice, Leila Jaffel, de «commettre un crime» en refusant d’appliquer une décision du tribunal administratif de réintégrer la plupart de ces juges, et de «fabriquer» des affaires criminelles à leur encontre.

L’accusation contre Hammami s’appuie sur une plainte déposée par Leila Jaffel en vertu du décret 54, promulgué5>thenationalnews.com, 23 janvier 2023, bit.ly/3Rexs5j par le président Saied en septembre dernier. Hammami est accusé, en vertu de l’article 246>Amnesty International, 12 déc. 2022, bit.ly/3QWGGTr de cette loi, de diffuser «de fausses informations dans le but de porter atteinte aux droits d’autrui et de menacer la sécurité publique, et d’attribuer de fausses informations pour diffamer autrui». Provisoirement en liberté, Hammami risque dix ans de prison.

Ces derniers mois, Leila Jaffel a déposé des plaintes7>Kapitalis, 29 nov. 2022, bit.ly/3J85FRK pénales contre plusieurs8>International Commission of jurists (ICJ), 5 janv. 2023, bit.ly/3D8EMcR personnalités politiques9>Business news, 30 nov. 2022, bit.ly/3wlubrd et médiatiques10>Business News, 15 nov. 2022, bit.ly/3D7aDdI ayant critiqué le président et son gouvernement.

Le 10 janvier, dans la salle d’audience du juge d’instruction, 22 avocats de la défense se sont relayés pour affirmer que Hammami n’avait fait qu’exercer son droit à la liberté d’expression pour défendre l’indépendance de la justice. Le juge doit maintenant décider s’il renvoie Hammami devant un tribunal.

En fin d’après-midi, quand les avocats de la défense ont conclu leurs plaidoiries, la cohue s’était calmée sur le trottoir en face du tribunal. Mais les pionniers des droits humains venus en force ce matin-là semblaient résolus à devoir revenir sur place.

«Je pensais que ces temps-là étaient derrière nous», a déclaré Khadija Cherif, 72 ans, qui a dirigé l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) pendant les années Ben Ali.

Notes[+]

Eric Goldstein est directeur adjoint, division Moyen-Orient et Afrique du Nord, Human Rights Watch (HWR).

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