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Revenu de base inconditionnel… et écologique

Un avenir à désirer

Soyons d’emblée clair·es: il y a des chantres néolibéraux enchantés par l’idée d’un Revenu de base inconditionnel (RBI). Heureusement, il existe un test assez infaillible afin de débusquer une telle proposition friedmanienne: sa mise en place va-t-elle de pair avec l’abolition des aides sociales existantes? Si son financement passe par une réduction des mécanismes solidaires, alors en effet mieux vaut se méfier.

En revanche, de nombreuses propositions de RBI insistent sur le maintien des conquêtes en matière de sécurité sociale; les idées pour son financement se tournent alors vers des sources plus inventives, comme une taxe sur les transactions financières ou les fortunes. Ça tombe bien, c’est exactement dans cette direction que va le comité «Vivre avec dignité – Pour un revenu de base inconditionnel finançable» qui mène actuellement une difficile campagne de récolte de signatures dans le but d’obtenir une nouvelle votation populaire sur le RBI 1>  www.grundeinkommenschweiz.ch/fr/texte-dinitiative/ . Alors préparons-nous pour une potentielle nouvelle votation à ce sujet: pour ou contre le RBI (de gauche)?

Cette proposition a le mérite de poser de bonnes questions – de belles questions même, à la frontière entre l’économie et la philosophie. Qu’est-ce qu’une juste rémunération? Les gens peuvent-ils être motivés par autre chose que l’argent? Devrait-il exister un revenu minimum que la société assure à toutes et tous indépendamment de toute activité ou statut?

Ces questions n’ont pas échappé à de nombreux penseurs et penseuses progressistes. Ainsi en est-il par exemple de l’écologiste André Gorz, qui propose d’ajouter un service civil de quelques années en échange de ce revenu d’existence afin d’assurer la production de quelques biens et tâches essentielles pour la société. Frédéric Lordon et Bernard Friot, de leur côté, soulignent qu’une forme de salaire à vie permettrait d’enfin lever le chantage à l’emploi qui pousse à accepter des emplois qui ne plaisent pas. L’absence de sens au travail n’est-elle pas un des grands maux de notre époque, comme le montre l’économiste Thomas Coutrot? 2> Voir la conférence «Quelle économie face aux limites planétaires? Thomas Coutrot et Timothée Parrique», organisée par la Grève du Climat et Le Courrier le 7 octobre 2022, www.youtube.com/watch?v=61QcvvCAj6s Ici, d’un point de vue écologiste, une telle «sécurité économique» prend tout son sens. Sans elle, il est difficile de concevoir que des travailleuses et des travailleurs employés dans des branches polluantes quittent leurs postes actuels et entreprennent une reconversion. De plus, de nombreuses formes d’activités non rémunérées mais hautement nécessaires, comme la garde d’enfants, le soin d’un jardin ou le travail associatif, seraient enfin valorisées.

Et pourtant, certains penseurs et penseuses de notre bord s’opposent au RBI, même sous sa forme de gauche. Que peut-on donc reprocher à une proposition qui ouvrirait tant de possibles souhaitables? Un collectif, auteur du livre Faut-il un revenu universel?, énumère toute une série de critiques à son encontre. 3> https://www.atterres.org/livres/faut-il-un-revenu-universel-0/   La plus percutante est peut-être l’abandon de l’objectif d’une société de plein-emploi. Le RBI serait une forme d’acceptation résignée que notre économie est incapable de trouver une place pour tous et toutes. Les machines nous remplacent et il faudrait l’accepter en trouvant des manières de rémunérer toutes ces personnes devenues économiquement inutiles. Pour ces auteurs et ces autrices, il s’agirait au contraire de lutter pour créer un monde du travail où chacun·e trouve sa place, en assurant un droit à la reconversion avec des formations gratuites ou en créant des emplois dans des domaines importants et souvent sous-dotés.

Une autre critique digne d’intérêt fait remarquer que le RBI représente une «solidarité froide»: toute personne, y compris celle sans emploi, reçoit sur son compte en banque une fois par mois un montant qui lui permet de satisfaire ses besoins de base. Cela est très bien, mais laisse de côté d’autres besoins tout autant fondamentaux pour l’être humain: l’insertion dans une communauté et l’impression d’avoir une existence sociale qui fait sens. Le RBI est un mécanisme impersonnel qui laisse chacun·e seul·e face à son porte-monnaie. Il ne porte pas de dimension de réciprocité. En cela, il se fond bien dans une ère du temps individualiste. Ces différentes critiques amènent d’intéressantes contre-propositions dont nous parlerons dans notre prochaine chronique.

Pour l’heure, en pensant à tous·tes nos amie·s militant·es qui passent un temps impressionnant (évidemment non payé) à lutter pour rendre cette société meilleure, un RBI leur permettait d’éviter d’ajouter à tout ce travail la recherche d’un job alimentaire et leur ferait gagner quelques heures de sommeil.

Notes[+]

www.climatestrike.ch/system-change

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mardi 19 avril 2022

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