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Le coût du «vert»

L’extraction des matières premières dont dépendent les technologies «vertes» produit des problèmes socio-environnementaux, jusqu’ici «délocalisés» dans les pays du Sud. Encouragée par les velléités européennes de réduire la dépendance aux importations, une course aux nouveaux métaux de la «transition écologique» s’organise sur le sol du Vieux-Continent, qui s’annonce lourde de conséquences. Eclairage.
Transition écologique

Le 24 octobre, le géant français Imerys a annoncé qu’il avait trouvé un important gisement de lithium dans le Massif central. A partir de 2027, le métal sera extrait d’une mine souterraine. Le projet, qui implique un investissement d’un milliard d’euros sur une période d’au moins vingt-cinq ans, a été présenté comme l’un des plus importants d’Europe. Selon les estimations de la société, la mine pourra équiper 700 000 véhicules électriques par an.

A partir de 2035, plus aucun véhicule à moteur à combustion ne sera vendu en Europe. Afin de réduire les émissions de CO2 coresponsables du changement climatique, l’accent est mis sur la mobilité électrique. Pour réussir cette transformation historique, il faut toutefois des matières premières, dont l’extraction – généralement sale et peu rentable – a été délocalisée dans les pays du Sud. Aujourd’hui, la transition écologique européenne dépend des importations, notamment de la Chine. L’Europe tente donc de se mettre à l’abri en encourageant une sorte de nouvelle «souveraineté minière». De la Scandinavie à la péninsule ibérique, de l’Italie aux pays de l’Est, des forages et des explorations géothermiques ont été lancés sur tout le Vieux Continent. Avec le photojournaliste Alberto Campi, j’ai récemment visité deux vallées du Piémont, où une société australienne prospecte d’anciens sites miniers pour trouver du cobalt. Comme le lithium, ce minéral est indispensable pour la fabrication des batteries des voitures électriques.

Des technologies dites vertes, mais qui ont un côté gris: l’exploitation minière. Aujourd’hui, environ 70% du cobalt mondial provient de la République démocratique du Congo, où la course à ce métal, menée par la Chine et par la multinationale suisse Glencore, alimente la corruption et génère d’importants problèmes sociaux et environnementaux. C’est pourquoi certaines jeunes entreprises ont flairé l’affaire et font des recherches en Europe. Cette ruée vers les métaux de la «transition écologique» ne fait pas l’unanimité. Au Piémont, nous en avons été les témoins directs.

En France, l’annonce du projet Imerys a suscité des réactions de la part des écologistes, qui craignent la destruction des écosystèmes locaux et diverses formes de pollution. En janvier dernier, face à la pression populaire, la Serbie a dû abandonner un projet similaire mené par le géant australien Rio Tinto 1>https://lecourrier.ch/2022/02/24/revolte-contre-la-frenesie-miniere/ . Au Portugal, le projet Mina do Barroso du groupe britannique Savannah Resources est fortement contesté par la population locale. Il y a quelques semaines, en Espagne, en Estrémadure, 600 personnes ont manifesté au cri de «¡No a la mina!» pour protester contre un autre projet de lithium 2> Lire en pages 11 et 12 de cette édition. .

Nous sommes donc confrontés à une contradiction insoluble. Le réchauffement climatique nous oblige à réduire les émissions et à changer nos sources d’énergie, mais sans compter ce côté «gris» des technologies «vertes» que, souvent, nous ne voyons pas. Nous pensons qu’en achetant une voiture électrique ou en installant un panneau solaire, nous pouvons devenir des consommateurs vertueux. En réalité, si le modèle de consommation reste le même, ce ne sera pas le cas: nous ne ferons que passer d’un consumérisme basé sur les énergies fossiles à un consumérisme basé sur l’exploitation minière. Ainsi, le rêve d’un monde plus propre se heurte à la matérialité de la transition écologique.

En Europe, cela n’a jamais été un problème: pendant des années, nous avons délégué ces activités sales au reste du monde, en nous débarrassant des mines, des industries et des connaissances. Avec un double effet, comme le rappelle l’expert français Guillaume Pitron dans son livre La guerre des métaux rares (Ed. LLL, 2018): nous avons laissé le champ libre à des Etats sans scrupules écologiques et sociaux et nous sommes, tous, restés ignorants des coûts écologiques réels de notre mode de vie.

Maintenant que la transition est en cours, nous réalisons que nous ne sommes pas souverains face à nos voitures électriques. Nous courons pour nous mettre à l’abri, cherchant du lithium et du cobalt chez nous, dans l’espoir de limiter notre dépendance. Mais l’exploitation minière pollue, perturbe la terre, enrichit une minorité. Et donc, légitimement, nous protestons. Jusqu’à présent, les externalités négatives d’une batterie étaient des histoires lointaines, rarement lues dans les journaux. La chasse aux mines qui vient de s’ouvrir en Europe aura un mérite: celui de nous ouvrir les yeux sur les coûts de notre modernité écologique.

Notes[+]

*Journaliste

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