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Berne achète son équilibre carbone

La Suisse compense ses émissions de CO2 à l’étranger. «Gagnant-gagnant» ou miroir aux alouettes?
Berne achète son équilibre carbone
En juin 2021, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga avait signé un accord de compensation des émissions de CO2 avec le Sénégal. KEYSTONE
Politique climatique

La Suisse a profité de la COP27, à Charm el-Cheikh le mois dernier, pour annoncer son premier projet de compensation carbone avec le Ghana. Les règles régissant la gestion de tels projets par les gouvernements avaient été fixées lors de la COP26 à Glasgow, l’année dernière. L’accord devrait permettre de compenser les émissions de CO2 de la Confédération en finançant la production durable de riz dans le pays africain.

La compensation des émissions permet aux pays ou aux entreprises polluantes d’acheter des crédits carbone pour compenser leurs propres émissions de gaz à effet de serre. Cet argent est ensuite utilisé pour financer des projets à travers le monde qui permettent soit d’éviter des émissions, soit de retirer de l’atmosphère une quantité équivalente de CO2.

Alors que les pays en développement – qui souffrent le plus du changement climatique – réclament davantage de fonds, l’essor de ces accords soulève de nombreuses questions quant à l’équité du système. Certaines personnes estiment que ces compensations, permises au titre de l’article 6 de l’accord de Paris, risquent d’inciter les pays riches à diminuer leurs efforts climatiques à domicile, tout en faisant peser une charge plus lourde sur les pays les plus pauvres.

Pour un tiers des baisses

L’article 6 de l’accord de Paris, clarifié lors de la COP26, définit les principes de la coopération internationale permettant aux pays d’atteindre leurs objectifs climatiques, mais un consensus sur sa mise en œuvre pourrait prendre des années. L’absence de cadre réglementaire global est l’un des points qui restent à régler; trouver le moyen de s’assurer que les pays n’investissent pas dans des projets qui auraient de toute façon été mis en œuvre, indépendamment de leur financement par un pays riche, en est un autre.

La Suisse s’est engagée à réduire de moitié ses émissions contribuant au réchauffement climatique d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990. Le gouvernement prévoit qu’une grande partie de ces réductions se feront par le biais d’accords de compensation avec des pays plus pauvres, dont la Dominique, la Géorgie et le Sénégal. Au total, Berne prévoit de compenser ainsi jusqu’à 12 millions de tonnes de CO2, soit un tiers des réductions prévues.

Une nouvelle loi sur le climat, qui prévoyait des réductions plus ambitieuses, a été rejetée par le peuple en 2021. Cela a conduit le gouvernement à prolonger la loi actuelle sur le CO2 jusqu’en 2024. Le parlement a récemment commencé à discuter de la révision de la loi qui sera appliquée au cours des cinq années suivantes.

«Des projets bénéfiques»

Alors que d’autres accords sont en préparation, la Suisse défend sa stratégie de réduction des émissions et son choix de recourir à des mécanismes de compensation. Simonetta Sommaruga, conseillère fédérale en charge de l’Environnement jusqu’à la fin de l’année, indique qu’au-delà des engagements pris à domicile dans le cadre de l’accord de Paris, «ces accords sont gagnant-gagnant». Selon elle, la Suisse peut ainsi soutenir des projets intéressants et bénéfiques pour les pays en développement, des investissements qui n’auraient pas été réalisés autrement et améliorent la situation climatique de ces pays tout en permettant aux autorités helvétiques de comptabiliser des réductions carbone.

Pour Veronika Elgart, responsable adjointe de la politique climatique internationale à l’Office fédéral de l’environnement, il est important que ces accords tiennent compte des besoins et des engagements de réduction des émissions de CO2 des pays hôtes. «Il devrait y avoir des stratégies dans chaque pays sur la meilleure façon d’utiliser les marchés du carbone pour qu’ils se soutiennent mutuellement», déclare-t-elle.

Problème de calculs

Mais David Knecht, de l’Action de Carême, une ONG qui soutient des programmes de sécurité alimentaire, de développement durable et de justice de genre, est sceptique au sujet de ces mécanismes. Selon lui, le projet de compensation au Pérou – signé par la Suisse en 2020 – n’est pas un projet que la Suisse devrait promouvoir. «La technologie partagée avec les communautés est connue depuis de très nombreuses années. Il y a sept ans déjà, on nous disait qu’elle n’était pas innovante. Nous devrions nous assurer que ces projets offrent de réelles avancées technologiques aux pays hôtes, afin qu’ils bénéficient vraiment de ces transferts de technologie», estime-t-il. Certaines personnes s’inquiètent également du fait que ces accords portent sur des projets qui auraient de toute façon pu être réalisés dans les pays en développement. Cela va à l’encontre de l’une des clauses de l’accord de Paris, qui vise à assurer le caractère «additionnel» de ces projets.

La complexité des mécanismes de compensation des émissions de carbone a également été abordée lors de la COP27. Christian Fleischer, doctorant à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), indique que pour les pays en développement, le coût élevé de s’engager dans un processus de compensation des émissions de CO2 pourrait dépasser les avantages. Selon lui, la participation à de tels mécanismes est difficile à mesurer, car il faut d’abord s’assurer que les pays partenaires disposent des registres leur permettant de comptabiliser et déclarer leurs propres émissions. SWISSINFO

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