S’intéresser à l’histoire du patient: une aide à une prise en charge efficiente
Aujourd’hui j’ai envie de vous raconter trois histoires qui m’ont été rapportées récemment. La première concerne un jeune homme bien formé et ayant une place de travail jusqu’à récemment, mais qui s’est mis à consommer des drogues dures et a finalement été hospitalisé à cause d’une décompensation psychotique sévère: il a été bien pris en charge pendant trois semaines et devait aller dans un centre spécialisé pour quelques mois pour éviter une rechute, ce qu’il avait accepté. Mais il n’y avait pas de place et donc il a été «libéré» de l’hôpital sans suivi psycho-social clair et considérant qu’il pouvait rentrer chez lui, son état psychique ne nécessitant plus de séjour stationnaire. On l’aviserait quand une place en institution serait disponible.
La deuxième concerne une personne de plus de 75 ans, connue pour un tabagisme important, avec quelques ennuis cardiaques datant d’il y a quelques mois ayant nécessité la pose d’un stent sur ses artères coronaires et qui malgré tout continuait à s’essouffler rapidement ne pouvant pratiquement plus marcher qu’au plat. Un pneumologue a déterminé qu’une bronchoscopie pouvait aider à comprendre mieux l’origine des symptômes et peut-être à proposer une meilleure prise en charge. Cet examen, qui nécessite une courte anesthésie, s’est fait en ambulatoire – comme c’est le cas le plus souvent – mais dans les heures qui ont suivi, la personne a fait un malaise et a dû être hospitalisée en urgence.
La troisième concerne un nonagénaire qui est suivi depuis peu par un nouveau médecin de famille, celui qui le connaissait bien ayant pris sa retraite. Il est vrai qu’il «va bien», vivant seul, se cuisinant ses repas, sortant régulièrement et ayant une vie sociale encore assez riche. Mais la vie de tous les jours reste celle de ses nonante ans, avec ses douleurs, ses lenteurs, ses «petites difficultés» qui encrassent la vie comme le fait de vivre au 2e étage sans ascenseur, d’avoir besoin d’un rolateur pour se déplacer à l’extérieur et j’en passe. Début novembre, lors d’une visite prévue, son médecin le félicite de ses résultats de laboratoire et d’aller si bien et ne lui fixe un nouveau rendez-vous que dans six mois.
Qu’est-ce que ces histoires ont en commun? Chacun des patients a eu accès aux soins dont il avait besoin sur le moment, sans délai d’attente dans la prise en charge et aucun ne s’est plaint. Et si l’on suit les algorithmes si prisés de nos jours, on ne verrait pas de failles évidentes. Les pathologies ont été analysées et traitées en suivant des protocoles bien établis.
Et pourtant, il me semble que dans les trois situations, il a manqué aux soignants de s’intéresser à l’histoire du patient et peut-être d’adapter la décision médicale à des contingences psycho-sociales individuelles.
Dans le premier cas, le jeune homme avait détruit son appartement dans une bouffée délirante et n’avait plus de chez-soi : où a-t-il trouvé du refuge? Personne ne s’est préoccupé de cela et c’est dans le milieu qu’il fréquentait avant qu’il a trouvé où dormir. Il a repris sa consommation illicite…jusqu’à sa prochaine hospitalisation! Il semblerait que s’il n’y avait pas de place dans une institution spécialisée, un appartement protégé – qui permet un suivi étroit – aurait probablement permis une transition plus adéquate. Mais cela se construit depuis l’hôpital et souvent prolonge le séjour alors que la pression pour le raccourcir est omniprésente dans le monde hospitalier.
Dans le deuxième cas, il me semble y avoir suffisamment de facteurs dits de risque pour admettre que la bronchoscopie aurait mérité une hospitalisation courte. Mais là aussi, les pressions pour éviter de «surcharger» l’hôpital font que l’on pratique de plus en plus de gestes techniques ambulatoires. C’est parfaitement légitime dans l’immense majorité des situations, sauf que, comme soignants, il ne faut pas que cela devienne une routine, mais une indication analysée finement pour chaque patient.
Dans la troisième situation, donner rendez-vous six mois plus tard à une personne largement nonagénaire – même si elle va bien – me semble un manque de compréhension des besoins à cet âge-là. La visite chez le médecin ne doit pas être seulement centrée sur la santé somatique, mais doit aussi permettre d’évaluer l’autonomie qui peut changer rapidement: savoir où il vit, comment il continue à sortir, à s’alimenter, à faire ses achats, à vérifier si les aides qu’il a suffisent, et cela mérite me semble-t-il des rencontres régulières pour mieux accompagner le patient et pour avoir un lien qui permettra peut-être aussi d’être plus efficace et écouté si des décisions douloureuses doivent être prises. C’est comme si moi, qui suis pédiatre, je voyais un nourrisson d’un mois et comme il va bien je proposais de le revoir à sept mois: c’est faire fi de tout ce qui peut se jouer, à ces âges, en six mois!
La médecine centrée sur le patient, c’est aussi cela et c’est ce qui devrait être la richesse de notre métier: on l’oublie trop dans notre système de soin, pour performant qu’il soit.
*Pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle