Un cadeau fiscal pour le négoce
Un impôt sur mesure pour un secteur de l’ombre, qui profitera au négoce des matières premières. Voilà ce qu’a concocté le Conseil fédéral avec la taxe au tonnage.
Cet impôt, qui sera débattu au Conseil national ces prochaines semaines, permet aux compagnies maritimes installées en Suisse de payer un impôt non pas sur le bénéfice, mais sur leur capacité de chargement. Pour ces sociétés, cela tombe bien. Très bien même. Cet instrument fiscal leur permettra d’échapper à l’imposition minimale à 15% exigée par l’OCDE, qui doit entrer en vigueur en 2024.
Selon les estimations d’un expert indépendant, Mark Pieth, leur imposition sera réduite à 7% ou 8% de leurs bénéfices. Ces calculs sont évidemment à prendre avec des pincettes. Mais le principe est là: baisser les impôts d’un secteur nébuleux, qui échappe quasiment à tout contrôle et engendre des milliards tout en étant responsable de dégâts environnementaux et sociaux.
La Suisse figure parmi les premières puissances maritimes mondiales, avec des sociétés installées avant tout à Genève, dont le leader MSC. Et celles-ci ne seront pas les seules à profiter de cet impôt. Les multinationales de négoce de matières premières – Glencore, Trafigura, Vitol pour n’en citer que quelques-unes – organisent souvent leur propre transport maritime. Pour elles, les perspectives de cette nouvelle taxe sont alléchantes.
Réforme de l’OCDE ou non, le Conseil fédéral aurait certainement préparé cette loi dans tous les cas. Une vingtaine de pays européens appliquent déjà une taxe au tonnage. En Suisse, l’offensive fiscale en faveur des plus grosses entreprises fait partie d’un agenda politique précis. En 2016 déjà, le parlement avait demandé au gouvernement d’avancer sur ce projet, abandonné dans le cadre de la troisième réforme de la fiscalité des entreprises (RIE III). Il avait alors été déclaré incompatible avec la Constitution.
Cette fois, le gouvernement s’assied sciemment sur cette dernière , qui veut que chacun·e soit imposé·e selon ses capacités économiques. Ce n’est pas la première fois que l’on déroge à ce principe fondamental. Les forfaits fiscaux accordés aux très riches contribuables – principalement dans les cantons de Vaud et Genève – répondent à la même logique anticonstitutionnelle.
Élément inquiétant, le fort lobbying de la branche transparaît dans le message du Conseil fédéral, qui reprend ses données les yeux fermés. Le secteur ne s’est pas privé non plus d’une opération séduction auprès des parlementaires siégeant dans la commission qui a examiné le projet.
Espérons que le parlement saura entendre raison. Avec le refus en votation de supprimer l’impôt anticipé et le droit de timbre, le peuple a clairement montré qu’il ne voulait pas de traitement de faveur pour les multinationales.