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De la «contribution exceptionnelle» à la socialisation de l’énergie

Un avenir à désirer

Autant les médias que la Commission fédérale de l’énergie nous l’assurent: l’année 2023 verra une hausse drastique des factures d’énergie. Pour éviter la pénurie, certain·es sont prêt·es, comme à Birr (AG), au mépris de tout bon sens écologique, à construire une centrale à gaz de réserve pour l’hiver 1>La Grève du climat, qui a organisé une manifestation contre ce projet, est naturellement d’avis que tenter de résoudre une crise (énergétique) en en renforçant une autre (climatique) est loin de constituer une solution.. Ces événements constituent un fait assez rare et inquiétant pour qu’on s’attarde un peu sur leur explication et les moyens d’éviter cela dans le futur. D’autant qu’au moment où une partie des ménages se demande comment payer leur facture, certaines entreprises atteignent des niveaux de profits formidables.

Ce constat n’a pas échappé à plusieurs législateurs qui ont proposé – après de longues discussions sémantiques – une «contribution exceptionnelle» sur les «superprofits» engrangés par certaines entreprises productrices d’énergie bénéficiant de la crise actuelle. Sous l’inoffensif terme de «contribution», on peut aussi voir une «taxe sur le profit», une réquisition d’un profit jugé illégitime dans un contexte de guerre et de précarité énergétique grandissante. On peut au passage se demander si les profits réalisés en pleine crise climatique par le pétrolier Total qui exploite des gisements et détruit des territoires au Nigéria sont bien plus légitimes…

Dans tous les cas, nous tenons quelques points importants. Le premier: oui, la richesse des capitalistes n’est pas intouchable. Dans le cas actuel, la limitation des privilèges des actionnaires est certes faible et de durée limitée, mais cette ouverture témoigne de la possibilité de faire la même chose de manière plus conséquente et plus définitive. Deuxième point intéressant: cet argent récolté aux dépens des actionnaires peut servir à faire des choses tout à fait réelles et constructives. Il peut par exemple être utilisé pour subventionner les ménages en difficulté à cause de la hausse des prix de l’énergie, ou pour financer l’urgente transition énergétique.

Taxer les profits permet d’entrevoir une possible socialisation du secteur énergétique privé – gaz, charbon, pétrole en particulier. Petit exercice de politique-fiction pour voir ce qu’une volonté un peu plus vigoureuse pourrait donner. La taxe sur les superprofits devient une taxe sur les profits tout court. La raison d’être de l’actionnariat disparaît car tout le profit passe directement des entreprises à un fonds socialisé qui regrouperait les surplus de toutes les entreprises du secteur énergétique privé. Ce fonds serait «socialisé» dans le sens où les décisions quant à l’usage adéquat de l’argent à disposition seraient prises non pas par des actionnaires, mais par différentes instances de représentation de la «société» dans son ensemble: les travailleurs et les travailleuses du secteur énergétique, les associations écologistes, les élu·es, etc.

Reste encore à financer les entreprises productrices d’énergie, celles-ci n’étant plus aux mains des actionnaires. C’est ici que la boucle est bouclée: l’argent levé dans ce fonds est redistribué dans les secteurs jugés prioritaires par la démocratie économique mise sur pied dans le cadre de ce fonds socialisé de l’énergie. De cette manière, on pourrait imaginer un plan de décarbonisation et de réduction de l’empreinte énergétique suisse, décidé de manière démocratique et loin des exigences de profits des propriétaires privés. A la dépendance aux énergies fossiles succéderait une décroissance planifiée de la consommation d’énergie. Le fonds servirait de catalyseur aux projets visant la sobriété énergétique, et il pourrait simultanément servir de lieu de désamorçage planifié des industries fossiles. Si les parties prenantes du fonds socialisé décident d’entreprendre une transition énergétique, les industries fossiles seraient soumises à un plan de démantèlement et recevraient par exemple des ressources pour la reconversion des salarié·es du domaine.

Finalement, la proposition que nous venons de dessiner permettrait un contrôle citoyen sur les prix: le mécanisme de fixation des prix selon le marché serait remplacé par la mise en place d’un prix moyen où les exploitations chères sont compensées par celles dont les coûts de production le sont moins. Elle contribuerait à une solution immédiate à la flambée des prix à venir. En un mot, dans cette architecture, les choix de production et distribution ne seraient plus effectués selon des règles abstraites de profit mais de manière autonome et concertées dans un souci de bien commun.

Notes[+]

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mardi 19 avril 2022

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