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«L’objection de conscience est un droit universel»

Jacques Pous, signataire d’un appel de soutien aux déserteurs russes, exprime les considérations qui l’ont amené à revoir sa position.
Russie-Ukraine

Chaque être humain possède une conscience. L’objection de conscience est donc naturelle au genre humain. Elle est, plus que d’autres, un droit humain car elle met l’individu seul face à un choix parfois dramatique, toujours difficile, qui met en jeu la réalité et la vision du monde de chacun. Dans un itinéraire de vie, la rupture est souvent l’étape fondamentale; elle joue un rôle structurant et fondateur. Elle se situe au terme d’un processus, elle en est le turning point; ainsi, l’itinéraire conduit à la rupture mais ne l’explique que partiellement: il ne la crée pas.

Choisir selon ses choix politiques les réfractaires que l’on va aider ou pas, c’est ne pas comprendre ce qu’est, dans une vie, l’objection de conscience. Il y a en effet un moment où la seule réponse possible à l’autisme et à l’arrogance du Pouvoir est la désobéissance civile; désobéir n’est pas alors un retrait ou un rejet du politique mais au contraire l’affirmation d’une exigence politique, celle qui rend de nouveau audible la voix des sans voix. Dans ce genre de situation, l’immoralité n’est pas l’action, l’immoralité est la soumission.

L’objection de conscience est un droit universel. L’appel 1>«Antimilitaristes, pacifistes, objecteurs… Nous soutenons les réfractaires à l’armée russe», tribune publiée dans les Blogs de Mediapart le 4 avril 2022. que l’on nous a proposé, paru dans Mediapart, ne l’était pas et la réaction d’un lecteur a été plus éclairante que tous les commentaires: «Vous avez, écrivait-il, juste oublié de manifester votre soutien tout aussi plein et entier, pour les déserteurs, objecteurs et insoumis, de l’armée ukrainienne. A moins, bien sûr, de n’être que des demi-objecteurs de conscience».

Ma première réaction à l’appel a été pourquoi pas. Toutefois, immédiatement, je me suis demandé pourquoi il ne concernerait pas les militaires ukrainiens qui pourraient aussi avoir d’excellentes raisons de refuser un conflit entre deux ultranationalismes aux arrière-pensées ethniques voulu, d’une part, par Poutine et une majorité de Russes qui depuis longtemps pensent qu’il s’agit d’un même pays et, d’autre part, par les ultranationalistes fascisants de Galicie (les deux Oblasts de Lviv et d’Ivano-Frankish) [dans l’ouest ukrainien] qui n’ont jamais eu vocation d’être rattachés à la Russie mais aux diverses puissances qui ont dominé la région, la Pologne en particulier, et qui ont été le moteur du coup d’Etat de Maïdan et de la folie nationaliste ukrainienne qui a suivi.

Dans un premier temps, malgré mes réticences, j’ai donc signé cet appel car je ne voyais pas comment ne pas le signer, mais lorsqu’il m’a été proposé une seconde fois j’ai refusé car on n’avait pas tenu compte de mes réticences. J’étais d’accord avec ce qu’il disait mais pas d’accord avec ce qu’il ne disait pas. Pour que je le signe, il aurait fallu ajouter un seul mot: à tous les déserteurs russes et ukrainiens.

Je ne voyais pas pourquoi on décidait qu’il n’y avait pas de déserteurs ukrainiens – et on sait aujourd’hui qu’il y en a beaucoup – alors que les Russes d’Ukraine, surtout dans les régions où ils sont les plus nombreux, n’ont aucune raison de se battre pour un régime qui, après une victoire éventuelle, deviendrait un enfer pour eux et qui, depuis plusieurs d’années, veut leur disparition en tant que peuple autonome.

Ma position politique se résume donc dans cet autre appel qui s’oppose d’abord au précédent qui ne voulait pas des Ukrainiens, qui s’oppose ensuite à la tentation suisse de refuser les Russes car l’ambassadeur d’Ukraine a demandé que la Suisse «n’accorde pas l’asile politique aux objecteurs de conscience et aux déserteurs russes car ils représenteraient un risque élevé pour la sécurité»2>«Les déserteurs russes sont un danger pour la Suisse, avertit Kiev» (dépêche ATS), swissinfo.ch, 25 septembre 2022. et qui s’oppose, enfin, à certains représentants de l’extrême gauche genevoise qui croient encore que cette guerre est le fait de l’impérialisme russe et non de l’impérialisme américain car ils pensent toujours que l’Amérique défend la démocratie d’un pays qui, avec les mêmes oligarques, je l’ai constaté, pratiquait la même démocratie que la Russie.

«Déserteurs, réfractaires, mes frères, qui refusent soit la guerre impériale et ultranationaliste de Moscou, soit l’impérialisme de Washington, soit l’ultranationalisme de Kiev, vous avez tous droit au soutien de l’Europe. Soutenons ensemble une véritable solidarité européenne et internationale.»

Notes[+]

* Déserteur à la guerre d’Algérie, Genève.

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