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Financer des médias indépendants: un défi global

L’évolution des médias vers des supports numériques a provoqué une longue crise de leur financement, qui s’est souvent soldée par leur absorption dans des grands groupes industriels en quête d’influence politique. Au Nord comme au Sud, les modèles économiques de l’information indépendante sont à réinventer, explique Caroline Vuillemin, directrice générale de la Fondation Hirondelle.
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Depuis les années 2000 et le début du basculement vers le tout-numérique, le modèle économique des médias est en crise. L’information écrite, autrefois payante sur des supports papier, est longtemps restée gratuite en ligne. Les revenus publicitaires, qui ont d’abord chuté, se sont ensuite revigorés mais ont été absorbés aux deux tiers par les géants de l’économie numérique. Nombre de médias, fragilisés économiquement, ont vu leurs conditions de travail se détériorer: journalistes peu ou parfois pas rémunérés, absence d’investissements dans le journalisme de qualité, avec à la clé une dégradation de l’information produite par ces médias, donc une baisse de leur audience, donc à nouveau de leurs revenus… Dans ces conditions, les médias sont devenus des proies faciles pour des hommes d’affaires à la tête de grands conglomérats, tentés de les acheter pour influencer l’opinion politique dans leur pays.

Dans les pays riches où existe un Etat de droit suffisamment doté, des médias de service public permettent de contrebalancer cette menace. Dans ces pays, des médias en ligne indépendants, c’est-à-dire financés principalement par leurs rédacteurs ou leurs lecteurs, parviennent également à se développer via des systèmes d’abonnements, de dons et parfois de subventions publiques. Mais dans les pays de revenus faibles ou intermédiaires, surtout s’il s’agit de pays autoritaires ou en crise, ces modèles ne sont pas possibles. Et l’aide internationale au développement des médias est une goutte d’eau – moins de 500 millions de dollars par an, soit 0,3% de l’aide mondiale au développement – qui ne suffit pas seule à pérenniser des médias sortant de l’emprise des grands intérêts économiques ou politiques.

Le financement des médias indépendants est donc aujourd’hui un enjeu démocratique global, dans les pays les plus riches comme dans les plus fragiles. Des travaux de chercheurs, des propositions et expériences ont lieu dans divers contextes pour proposer de nouveaux modèles de gouvernance, réinventer de nouveaux modèles de financements, combiner des moyens traditionnels et plus créatifs de génération de revenus, y compris dans les contextes les plus fragiles où la Fondation Hirondelle intervient.

Il ne peut y avoir de média sans financement. Mais une trop grande dépendance financière, par exemple auprès d’une source unique de financement, risque de porter atteinte à l’indépendance éditoriale nécessaire au travail des journalistes. Cette réalité, ce défi, tous les médias du monde y sont confrontés, comme jamais.

La Fondation Hirondelle ne dispose pas de ses propres capitaux ou fonds pour investir et faire fonctionner les médias qu’elle crée ou soutient. Elle convainc des partenaires de lui faire confiance: des Etats, des agences de coopération, des fondations privées. Elle choisit, multiplie et de ce fait limite ses dépendances, la ligne rouge étant que le soutien financier n’est jamais assorti d’injonction éditoriale. Elle développe aussi des activités génératrices de revenus dans les pays les plus fragiles, permettant ainsi un modèle de financement hybride. L’équilibre économique est chaque année difficile à atteindre. Plusieurs médias que nous avons créés ou soutenus ont fermé faute de financement depuis vingt-sept ans. Mais d’autres ont continué à remplir leur mission, contre vents et marées. Chaque expérience a ­garanti la souveraineté éditoriale de la conférence de rédaction, tout en testant un nouveau modèle pour continuer à apprendre et chercher des solutions.

Caroline Vuillemin est directrice générale de la Fondation Hirondelle.

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