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Et si …

Polyphonie autour de l'égalité

Et si pour une fois, on changeait la focale? Qu’on prenait le contre-pied, qu’on n’acceptait pas l’analyse proposée. Que malgré des siècles d’éducation à la soumission, on refusait. Bien sûr, il ne s’agit pas de nier le verdict des urnes, mais on pourrait au moins refuser l’analyse qui a été faite des résultats d’AVS21. Celle d’une défaite, certes honorable, certes sur un fil, mais une défaite quand même. Si on regardait les choses sous un angle moins pessimiste, ou encore à travers un prisme d’empowerment féministe, et que, calmement, posément, on faisait l’analyse d’une victoire. Oui, osons le dire, il y a eu une victoire, de celles qui restent discrètes, mais qui témoignent d’un moment d’histoire dont on ne pourra pas ignorer l’importance. Une victoire à plusieurs titres.

Tout d’abord, une victoire des chiffres, une votation où l’écart a été de 0,6% et de moins de 32 000 voix. Une victoire d’autant plus éclatante qu’elle a mis à mal la campagne des médias qui, au travers de moult sondages, a parlé d’une victoire du «oui» des semaines avant la votation, annonçant même une acceptation écrasante. Le 0,6% de différence ne peut en aucun être considéré comme une «défaite d’estime» – pour reprendre un terme prisé par les journalistes au lendemain de la votation, au sujet de la campagne menée par Alain Berset. Inutile de rappeler à quel point 0,6% est une différence minime. Aurait-on dû demander à recompter les bulletins de vote? Cette question a traversé l’esprit d’un certain nombre de personnes. D’autant qu’une commune soleuroise a confondu les oui et les non… à tel point que le canton de Soleure a au final refusé AVS21.

Ensuite, il s’agit d’une victoire du militantisme et de l’engagement sur le terrain. En effet, la mobilisation féministe, syndicale et des partis de gauche en Suisse romande et au Tessin a permis un refus important de la révision du premier pilier dans les cantons latins, mais aussi dans certaines grandes communes alémaniques. Le refus d’AVS21 à plus de 60% est une victoire d’estime. Une victoire que très peu de médias ont mis en avant. Une victoire sous forme de gifle aux partis de droite, aux associations patronales qui n’ont cessé pendant des mois d’agiter les spectres des chiffres rouges. Malgré cela, la droite latine n’est pas parvenue à inverser la tendance. Cela rappelle que les votations se gagnent dans la rue, dans l’engagement quotidien. Tout le travail effectué par les collectifs, tous les réseaux mobilisés pour l’occasion ne sont pas près de retomber; au contraire, cette victoire latine leur redonne force et conviction.

Enfin, c’est aussi et avant tout une victoire du mouvement féministe. Celui qui grandit depuis plusieurs années, en particulier depuis le 14 juin 2019, mais qui a aussi germé pour certain·es au travers des mobilisations sur les violences, le sexisme dans le sillage de #metoo. Un mouvement de fond qui ébranle les rapports de force dans différents domaines d’activité et s’invite partout, au parlement fédéral, dans les milieux artistiques, dans les lieux culturels, dans le domaine de la formation. Le féminisme s’est peu à peu imposé, alors qu’il y a encore quelques années, rares étaient les femmes à oser s’en réclamer, tant les incidences sur la carrière et la légitimité étaient négatives. Aujourd’hui la tendance semble s’être inversée. En effet, le féminisme et les revendications de l’égalité sont présentes. N’avons pas vu, lu ou entendu pendant cette campagne de nombreuses femmes partisanes de la réforme se présenter comme des féministes de droite? Certes, l’égalité qu’elles défendent est très différente de celle mise en avant dans la rue ces dernières années, leur modèle étant le masculin et ses privilèges.

Victoire du féminisme aussi parce que ce résultat doit être vu comme une réaction de défense patriarcale. Combien d’hommes a-t-on vu dans les médias le lendemain nous expliquer que «c’était un premier pas vers l’égalité», alors qu’ils auraient adoré nous crier : «Vous vouliez l’égalité, alors la voilà, et toc!». Car ce mouvement de fond qui ébranle les rapports de force suscite de l’hostilité; la crainte est en effet grande de perdre les privilèges qui découlent du système patriarcal. Rien d’étonnant dès lors à la réaction masculine qui s’est manifestée ces derniers mois avec plus ou moins de violence symbolique. Le choix des urnes n’est donc rien d’autre qu’une brutale remise au pas de celles qui ont peu à peu imposé leur voix.

Et si cette votation était l’occasion de montrer que nous sommes fortes, capables de gagner, capables de mobiliser et que nous allons le montrer encore et encore? Tant pis si les médias ne s’intéressent aux collectifs seulement pour commenter le résultat, tant pis si certain·es instrumentaliseront encore le féminisme pour faire passer des réformes, des régressions, mais nous sommes là et une chose est sûre, le combat continue pour une société plus égalitaire.

Miso et Maso, investigatrices en études genre.

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