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L’égalité, c’est pas gagné!

Miso et Maso mettent en gardent contre les voix, de plus en plus nombreuses, qui s’élèvent pour s’opposer à l’égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière économique.
Polyphonie autour de l'égalité

L’égalité entre les femmes et les hommes n’a jamais été aussi présente dans les médias suisses. Harcèlement sexuel et de rue, violences de genre, plafond de verre dans les conseils d’administration, stagnation dans l’accès aux fonctions politiques, inégalités dans le système de retraite, discrimination salariale, la liste des thèmes traités au cours de l’année dernière est longue. 2017, du moins la fin de l’année, sera remémorée comme celle de la «libération de la parole» des femmes. D’aucun-e-s pensent que la réalisation de l’égalité est en marche. C’est oublier les voix, de plus en plus nombreuses, qui s’élèvent pour s’opposer à l’égalité dans les faits, notamment en matière d’égalité économique.

Prenons les inégalités de salaire: l’écart de rémunération entre femmes et hommes ne cesse de faire débat. Le constat est affligeant: entre 1998 et 20141>1 Donnée disponible la plus récente., l’écart moyen passe de 24,8% à 19,5% dans le secteur privé. Une baisse de 5 points en 16 ans, qui serait due à la stagnation des salaires masculins et non à la hausse des salaires féminins! Quant à la différence, près de 40% de celle-ci ne trouve pas d’explication objective et relève de la pure discrimination. A cette vitesse, il faudra attendre plusieurs décennies pour ancrer dans les faits un principe constitutionnel. C’est ce que rappelle chaque année la journée Equal Pay Day qui a eu le 24 février dernier. Cette journée marque le nombre de jours de travail supplémentaires que les femmes doivent travailler pour atteindre le salaire que les hommes ont gagné au 31 décembre.

«A travail égal, salaire égal» est donc un slogan toujours d’actualité. La revendication de l’égalité économique remonte au XIXe siècle déjà, où de nombreuses associations d’ouvrières exigeaient l’égalité entre femmes et hommes. Cette revendication a ensuite traversé le XXe siècle, mais il a fallu attendre 1981 pour l’ancrer dans la Constitution fédérale et 1995 pour donner naissance à une loi fédérale portant spécifiquement sur l’égalité professionnelle (LEg). Malgré une loi qui n’a guère fait ses preuves et qui reste méconnue, tant du grand public que des professionnel-le-s de la justice, il est des responsables politiques qui estiment que c’est trop. Preuve en est la récente décision de la commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil des Etats qui a revu à la baisse le projet de révision de la LEg. Pour rappel, la proposition du Conseil fédéral, déjà timide, comprenait l’obligation du contrôle de l’égalité salariale dans les entreprises de plus de 50 personnes tous les quatre ans. Les entreprises devaient ensuite informer leur personnel des résultats de l’analyse, mais, en cas d’infraction, n’encouraient aucune sanction. Bref, un projet particulièrement peu révolutionnaire! Pourtant, les représentant-e-s du patronat ont fait feu de tout bois pour discréditer ce projet.

On sait combien la rémunération est un sujet tabou en Suisse et combien la législation sur le travail est marquée par l’esprit libéral et la pression des représentant-e-s de l’économie. La majorité de la commission du conseil des Etats a donc retoqué le projet de révision à plusieurs endroits. Tout d’abord, seules les entreprises comptant 100 personnes seront soumises à l’analyse des salaires, ce qui ne concernerait que 0,85% des entreprises suisses – ce n’est pas une blague – et 45% des salarié-e-s (contre 2% et 54% dans le projet du Conseil fédéral). Ensuite, si lors d’un premier examen, l’égalité des salaires est respectée, les entreprises concernées sont dès lors exemptées de toute nouvelle analyse, car comme chacun-e sait, en matière d’égalité, l’évolution est linéaire et toujours positive… Le dernier rapport du World Economic Forum (WEF) vient d’ailleurs de le démontrer: après dix années de diminution des disparités, l’écart augmente dans la plupart des pays considérés et la Suisse ne fait pas exception. En une année, elle décroche du 11e au 21e rang. Tout cela semble échapper aux membres de la commission du Conseil des Etats qui proposent enfin de doter la loi sur l’égalité d’une date de péremption. Une preuve s’il en fallait encore une du dédain que suscite le principe de l’égalité dans de nombreux rangs. Le 8 mars sera une occasion de rappeler haut et fort l’importance des droits acquis de haute lutte ainsi que la nécessité des combats encore à mener.

Notes[+]

Miso et Maso sont investigatrices en études genre.

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