«La société iranienne vit une situation explosive»
Mahsa (Zhina) Amini, une jeune fille de 22 ans de Saqqez, dans la province du Kurdistan iranien, qui s’était rendue à Téhéran avec sa famille, a été arrêtée le 13 septembre à l’entrée de la voie rapide Haqqani par une «patrouille des mœurs». Elle a ensuite été conduite au service répressif de la «sécurité des mœurs». Alors qu’elle protestait contre cette arrestation, elle a été rouée de coups par des agents de sécurité. En raison de la gravité de ses blessures, elle a été transférée à l’hôpital Kesra de Téhéran. Après avoir examiné Mahsa, les médecins traitants ont annoncé qu’elle avait subi en même temps une crise cardiaque et une attaque cérébrale et se trouvait dans le coma. Il est dit que l’attaque cérébrale est due à une fracture du crâne provoquée par les coups violents assénés à la tête par les agents. [La jeune femme est décédée le 16 septembre à l’hôpital.]
Craignant une réaction publique face à cette mort suspecte, le président iranien Ebrahim Raïssi a ordonné à son ministre de l’Intérieur, Ahmad Vahidi, d’examiner l’incident. L’hôpital Kesra est resté entièrement sous le contrôle des forces de police et des agents des renseignements. Les parents de Mahsa étaient au chevet de leur fille à l’hôpital. Les services des renseignements ont menacé la famille de s’abstenir d’être interviewée par les médias étrangers, faute de quoi ils auraient des problèmes.
Le 8 juillet dernier, au cours de son habituel prêche du vendredi, l’imam d’Ardakan (ville du centre du pays) déclarait que «le hijab (était) l’un des facteurs de l’autorité et de (la) sécurité nationale». Dans de nombreuses villes de la république islamique, les discours des imams convergent sur ce point crucial pour la stabilité du régime: les femmes «mal voilées» représentent un véritable danger pour l’islam des mollahs. Il leur est impossible de s’émanciper. Le port du voile est devenu une question centrale dans la lutte qui oppose le peuple à l’autorité.
L’actuel président de l’Iran, Ebrahim Raïssi, l’a bien compris. En ordonnant aux organes de répression interne du pays de focaliser leur attention (et leur violence) sur des réponses «appropriées» aux femmes rebelles, il espère encore contenir une colère qui s’accumule depuis de nombreuses années par la manière forte. De fait, l’Iran assiste actuellement à un nouveau cycle de brutalité sans précédent à l’encontre des femmes «mal voilées», à la fois dans les bureaux, dans les rues ou les centres commerciaux. Partout, les voitures de la police morale patrouillent et imposent leur présence aux yeux de toutes et tous.
Le fait est que la société iranienne se trouve dans une situation explosive. Des unités de résistance se sont développées, un peu à la manière des unités de résistance durant l’occupation de la France par l’Allemagne nazie. Elles agissent désormais dans chaque rue de chaque ville du pays. Ces unités sont prêtes à orienter l’explosion de colère vers un changement démocratique en Iran.
Selon des sources proches des services de renseignement du régime, le nom de la cheffe de l’opposition en exil est de plus en plus présent lors des manifestations. Scandé par les manifestant·es, le nom de Maryam Radjavi, dirigeante de la Résistance iranienne, est associé aux slogans prônant l’égalité des sexes et la séparation de la religion et de l’Etat. Cette dernière a d’ailleurs exprimé sa plus profonde sympathie à la famille de Mahsa Amini et a déclaré que «le régime misogyne des mollahs tue chaque jour davantage de femmes et de jeunes filles iraniennes». Le régime craint cette explosion, autant qu’il craint la mobilisation d’une armée de gens affamés, sans emploi et sans perspective.
En ciblant particulièrement les femmes, qui occupent une place prépondérante dans la société iranienne, Ebrahim Raïssi et les tenants d’une politique islamique ultra stricte cherchent avant tout à contrôler la société. On comprend dès lors mieux, vu d’Occident, les propos de l’imam d’Ardakan sur le hijab.
Dans ce contexte, les militant·es des droits humains se demandent pourquoi on devait accepter une présence de l’actuel président iranien à l’Assemblée générale des Nations unies qui a débuté le 13 septembre à New York. Selon Amnesty International et l’ONU, Ebrahim Raïssi avait un rôle important dans le massacre de 1988 des prisonniers politiques en Iran.
Hamid Enayat est un écrivain et analyste iranien basé à Paris.