Trouver l’équilibre, entre marché et planification
Le mois prochain, Catherine Samary, économiste spécialiste de la Yougoslavie, tiendra une conférence sur le passionnant système économique mis en place dans ce pays. La Yougoslavie a en effet été le théâtre d’une tentative de «planification autogestionnaire» qui se détournait du modèle économique stalinien sans pour autant revenir à une régulation marchande. Elle a d’ailleurs connu un Mai 68 agité lors duquel les étudiant·es mobilisé·es réclamaient «l’autogestion de bas en haut» et refusaient «la bourgeoisie rouge».
Mais quel lien entre ces évènements, la Grève du climat et nos chroniques? Même si les revendications yougoslaves peuvent paraître datées et hors de propos, elles peuvent aussi être vues comme la preuve que, dans un passé pas si lointain, a pu être porté l’espoir d’une société libérée autant des lois froides et anonymes du marché que des lois dures et autoritaires d’une élite bureaucratique. Ainsi, cette expérience, malgré ses limites, entre en résonance avec nos discussions sur les apports et les limites d’alternatives au capitalisme existantes pour imaginer une nouvelle économie respectueuse de l’environnement.
Dans nos précédentes chroniques, nous avons déjà décrit plusieurs idéaux-types de propositions.
A un pôle, la planification. Celle-ci a le notable mérite de porter l’idée d’une gestion commune des ressources limitées. Elle permet aussi de définir des objectifs, des grandes lignes directrices pour la société. La planification nécessite un moment collectif, macro, où une décision contraignante est prise. Elle faillit par contre sous le poids administratif de sa mise en place et la rigidité qui en découle. Et évidemment par son manque historique de démocratie.
A un autre pôle, les coopératives, ou ce que nous pourrions appeler l’économie sociale et solidaire. L’idée coopérative laisse une belle place pour l’innovation et la créativité, principes cruciaux pour assurer la motivation des travailleurs et des travailleuses. Elle cherche par ailleurs à construire des relations de confiance et de solidarité au sein de l’entreprise ainsi qu’avec sa clientèle. Mais ce qui semble constituer ici une limite est la grande foi accordée aux vertus du marché. La forme coopérative peut vite tourner en greenwashing et en compétition effrénée entre entreprises.
Ces deux pôles constituent toutefois une base utile pour penser un système incluant les éléments les plus positifs de chacun. Il s’agit donc d’articuler ce moment macro/collectif qui nous vient de la planification avec les marges de manœuvre micro/individuelles inspirées des coopératives. Comment faire ça? Plusieurs économistes (dont Catherine Samary, Benoît Borrits ou Thomas Coutrot) se rejoignent pour proposer un système qu’on pourrait schématiquement découper en trois niveaux.
D’abord, le niveau macro, celui où les choix collectifs se prennent: Que voulons-nous produire en tant que société? Comment? Il s’agit là d’élargir la démocratie que nous connaissons dans la sphère politique au monde économique. A ce niveau se joue un moment délibératif, avec un débat qui met en scène plusieurs propositions différentes voire contradictoires. Les citoyen·nes ont alors la possibilité de trancher pour l’une de ces options. Ce processus peut prendre des formes variées: un vote national régulier, une assemblée tirée au sort, une chambre de l’économie.
Ensuite, au niveau méso, les banques. Celles-ci sont la courroie de transmission entre les grands choix sociétaux et les projets particuliers. Deux points les différencient fondamentalement des institutions financières actuelles: 1) Elles ne sont pas la propriété d’actionnaires, mais ont une structure proche d’une coopérative ou d’un service public; 2) Leurs choix de financement doivent nécessairement suivre les choix pris au niveau sociétal.
Finalement, les entreprises. Celles-ci s’adressent aux banques décrites ici pour obtenir de l’argent. Leurs fonds ne proviennent donc plus d’investisseur·euses en quête de profit. Elles cessent de ce fait d’être soumises aux règles capitalistes. Les décisions importantes en leur sein reviennent aux travailleur·euses.
Voilà pour un premier teaser d’une économie permettant d’allier transition écologique et liberté d’entreprendre. Ces grandes lignes montrent de manière succincte la forme que pourrait prendre cette économie en équilibre entre les apports de la planification et du marché. Prochainement, nous nous plongerons plus finement dans cette architecture économique postcapitaliste.
climatestrike.ch/system-change
Prochain rendez-vous mercredi 5 octobre.