Pour toutes et tous, contre tous les risques
Le système de protection sociale suisse est compliqué. Malgré des forces, il présente de graves lacunes, que la crise du coronavirus a une nouvelle fois révélées. Selon la cause du manque de revenu – accident, maladie, invalidité, chômage, maternité – une assurance spécifique couvre une partie du salaire perdu. Une part des travailleurs et des travailleuses n’est pas ou très insuffisamment couverte – les femmes en général et les mères cheffes de famille en particulier, les indépendant·es, les travailleurs aux bas salaires, précaires et au noir. La durée de la prestation d’assurance est souvent limitée et d’un montant variable. Diverses aides sociales peuvent au besoin être sollicitées. Leurs montants sont faibles et varient d’un canton à l’autre; leur accès est laborieux, souvent humiliant, et peut impliquer l’expulsion des personnes sans passeport suisse.
Si ces problèmes sont connus, peu d’acteurs politiques ont tenté de les résoudre dans leur globalité. Le Réseau de réflexion, un thinktank fondé sur les principes d’égalité et de solidarité, y travaille depuis plus d’une décennie. Il présente aujourd’hui une réforme globale fondée sur le système existant: l’assurance générale de revenu (AGR). Ce modèle met fin à l’imbroglio des prestations sociales créé en Suisse tout au long du XXe siècle. Il préconise, d’une part, une assurance sociale unique, indépendante de la cause de la perte de revenu. D’autre part, il élargit les actuelles prestations complémentaires AVS-AI à l’ensemble des situations de besoin, en remplacement de l’aide sociale. Une offensive de reconversion professionnelle et la révision du droit de la migration complètent la proposition. Le but: que toutes et tous soient protégés contre tous les risques. C’est ce que propose le livre de Ruth Gurny et Beat Ringger, Reconstruire la protection sociale pour toutes et tous, publié en juillet 2022 par le Réseau de réflexion.1>Commande: info@denknetz.ch, disponible en version électronique sur www.denknetz.ch/fr/
Par des simplifications et des synergies, ce modèle met fin aux délimitations bureaucratiques, à l’opacité et aux disparités entre régimes spécialisés. Les personnes ne sont plus ballottées, l’accès est simplifié, les lacunes comblées, la gestion moins coûteuse. Ambitieux et réalisable à la fois, ce modèle, avec ses propositions minutieuses et chiffrées, cherche à stimuler le débat et à baliser des interventions politiques concrètes.
Une assurance unique
Des indemnités journalières sont versées dans toutes les situations où la personne est privée d’activité lucrative – chômage, accident, maladie, maternité ou soins à des proches, service militaire ou civil, ou mère en situation de recherche de retour à l’emploi. Le modèle remplace de façon unifiée toutes les assurances sociales durant la période de la vie professionnelle. Obligatoire, il couvre l’ensemble des personnes habitant en Suisse quel que soit leur statut – salarié, indépendant, avec ou sans permis de séjour. Les indemnités sont versées aussi longtemps que subsiste la perte de revenu. En cas d’incapacité totale ou partielle durable (un accident entraînant un handicap), des rentes sont accordées.
Le modèle maintient le principe selon lequel la source primaire du revenu est la rémunération du travail. A la grande différence d’aujourd’hui toutefois, tout emploi doit correspondre à ce que l’Organisation internationale de travail qualifie de decent work (travail convenable). Les problématiques des bas salaires et des conditions d’emploi précaires sont ainsi posées mais ne peuvent être résolues par le modèle AGR.
Des prestations complémentaires élargies
Des aides selon le besoin complètent le modèle. Elles correspondent aux prestations complémentaires réservées aujourd’hui aux rentier·ères AVS-AI, élargies à toutes les situations où le salaire ou les prestations d’assurance s’avèrent insuffisants et harmonisées au plan national. Un soutien personnel ou une orientation professionnelle sont offerts sur une base volontaire. Nouveauté: les personnes optant pour un mode de vie sans emploi salarié peuvent opter pour des prestations sous certaines conditions («opting out»). Ces prestations remplacent l’aide sociale actuelle et les nombreuses autres allocations spécialisées, partielles et disparates (subsides assurance-maladie, bourses…).
Formation et droit de la migration
Le modèle dépasse la réforme des prestations sociales et propose une vaste offensive nationale de reconversion professionnelle. Son but est d’assurer l’avenir professionnel de toute personne menacée de perdre son emploi en raison du changement climatique ou des transformations technologiques. De plus, une réforme du droit de la migration s’impose afin d’assurer que toute personne vivant et travaillant en Suisse soit traitée sur un pied d’égalité.
Notes