Chroniques

«La Nuit du 12», une vision critique de la masculinité?

Les écrans au prisme du genre

Dominik Moll qui s’est fait connaître en 2000 par son premier long-métrage Harry, un ami qui vous veut du bien, lauréat de quatre Césars bien qu’empreint d’une misogynie particulièrement détestable (mais le féminisme n’était pas encore à la mode), revient après divers films moins remarqués avec La Nuit du 12, l’adaptation d’un chapitre du livre de l’écrivaine et scénariste Pauline Guéna qui a suivi pendant un an le travail de la police judiciaire de Versailles, publié en 2020 sous le titre 18.3. Une année à la PJ.

La presse a loué de façon quasi unanime les qualités du film, en soulignant sa focalisation (assez rare dans le cinéma français réalisé par des hommes) sur la question ô combien d’actualité des féminicides et plus largement des diverses formes, physiques et symboliques, de la violence masculine, autant chez les suspects que chez les policiers.

Adapté du chapitre intitulé «Une vraie victime» (qui fait 30 pages dans le livre de 500 pages), le film raconte la découverte du corps calciné d’une jeune fille dans la banlieue pavillonnaire d’une petite ville de l’Isère et l’enquête menée par la PJ de Grenoble pour trouver le coupable (en vain, comme c’est précisé en exergue).

Nous suivons le groupe de policiers (tous des hommes) sous la houlette d’un jeune trentenaire aussi sympathique qu’avenant, Yohan, incarné par Bastien Bouillon. Il fonctionne en binôme avec un policier plus âgé, Marceau (Bouli Lanners) qui lui confie la crise conjugale qu’il traverse et finira par squatter chez lui.

Les autres policiers sont moins individualisés mais on comprend par leurs conversations que leur vie de famille est largement compromise par leur métier. On va suivre principalement Yohan et Marceau dans leur identification d’éventuels suspects, les interrogatoires et vérifications qui chaque fois disculpent le suspect, malgré les actes et les propos qui témoignent plus ou moins fortement de la violence masculine dont a été victime la jeune Clara, arrosée d’essence et brûlée vive. Tous les degrés d’indifférence, de désinvolture, de cynisme et de violence sont illustrés au cours des interrogatoires des hommes qui ont croisé Clara.

Mais cela devient bientôt une enquête à charge contre la victime dont la vie sexuelle et affective est exposée sans ménagement par des policiers dont on voit resurgir les préjugés misogynes, les soupçons de «fille facile» qui stigmatise les jeunes femmes qui prétendent vivre leur sexualité aussi librement que leurs partenaires masculins.

La meilleure amie de Clara, que Yohan interroge sans ménagement sous prétexte d’identifier les hommes que Clara a pu fréquenter, finit par se sentir honteuse de l’image de son amie qui en résulte, oublieuse des traits de caractère qui faisaient que «tout le monde l’aimait».

Ce n’est qu’à la toute fin du film (une sorte d’épilogue trois ans après le crime) que quelques personnages féminins apportent un autre point de vue sur l’enquête, Nadia (Mona Soualem), la nouvelle coéquipière de Yohan, et la juge d’instruction (Anouk Grinberg) qui relance l’affaire, sans succès. Si elles soulignent toutes deux que le crime, les violences aussi bien que l’enquête est le fait d’hommes alors que la victime est une femme, le film n’identifie jamais ce qui, dans les ratés de l’enquête, relève de ce biais: la non-mixité de l’équipe de la PJ qui enquête sur un crime éminemment genré, le féminicide.

De plus, dans ce tableau (non exhaustif) de la domination masculine, des formes les plus ordinaires aux plus toxiques, le film exonère son personnage principal de tout comportement sexiste ou dominateur, bien qu’il soit en position de pouvoir par rapport à son équipe. Yohan est décrit comme un homme sans attaches, ni parents, ni conjoint, ni enfant, sans relation ni masculine ni féminine en dehors de son travail.

Au contraire, Pauline Guéna décrit ainsi son personnage au début du chapitre: «(…) Il aperçoit le corps inconnu qui a gardé une position incongrue dans la mort et semble lui tendre les bras. Il songe aux amoureux qu’il a vus à côté de Naples, à Pompéi, lors de son voyage de noces. Enlacés pour l’éternité. Celle-là, elle est seule. Il songe aussi que sa femme à lui n’a plus tellement l’air de l’aimer beaucoup, qu’elle soupire dès qu’il ouvre la bouche et que ce voyage de noces paraît bien loin. Leur deuxième fils est né il y a six mois, elle dort avec le bébé, et lui sur le canapé – quand il dort.» (p. 424).

On peut dire que l’abstraction du personnage masculin principal est le talon d’Achille du film. Le «héros», celui dont le regard conduit le récit, auquel le public est invité à s’identifier, est un homme hors sol, qui échappe au regard critique que le film pose sur toutes les autres incarnations masculines… C’est son personnage principal qui nous fait douter que La Nuit du 12 construise une véritable vision critique de la domination masculine.

Geneviève Sellier est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

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