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Les froides exigences de la procédure

Le Tribunal correctionnel de Genève juge des infractions passibles d’une peine privative de liberté supérieure à deux ans. Récit d’une audience par Carla Hunyadi, étudiante en droit.
Justice 

Devant la salle, plusieurs personnes attendent. Deux hommes, qui se révèleront plus tard être le procureur et l’avocat du prévenu, échangent avec insouciance sur leurs vies de famille respectives. L’huissier ouvre les portes de la salle. Les trois juges sont déjà installés, le président au milieu. A ce moment-là, je n’ai encore aucune idée du sujet de l’audience. Tout ce que je sais jusqu’ici, c’est que je me trouve au Tribunal correctionnel, qui est compétent pour juger des infractions dont les peines de prison sont supérieures à deux ans.

Le prévenu entre dans la salle, escorté par la police. Son visage me paraît exprimer une profonde tristesse. Comme il ne parle pas français, une interprète est présente afin de traduire les échanges. Le président rappelle brièvement les infractions reprochées au prévenu: dix-neuf cambriolages et tentatives de cambriolages, vol par métier, vol en bande, violation de domicile. Un accord a été trouvé entre le prévenu et le procureur, ce qui est rare dans ce genre de cas; mais il doit être validé par les juges et c’est la raison de cette audience.

Le prévenu tient à dire quelques mots: il annonce avoir beaucoup réfléchi et se dit conscient d’avoir traumatisé les victimes. Il dit avoir beaucoup de regrets, aimerait demander pardon. Il a agi comme cela car sa femme était gravement malade. Malgré la portée symbolique que pourrait constituer ce moment, à la fois pour le prévenu et pour les parties plaignantes, le président l’interrompt: «Nous avons pris note de vos regrets, vous pouvez vous rasseoir», dit-il sèchement. Il ne veut pas perdre de temps.

La dimension humaine de la justice semble avoir été perdue de vue face aux froides exigences de la procédure. Nous devons quitter la salle le temps des délibérations. Les parties plaignantes se dirigent alors vers le procureur pour lui poser des questions. Je tends l’oreille pour écouter leurs conversations mais je ne veux pas paraître indiscrète. Les plaignant·es semblent un peu démuni·es face à une justice dont elles et ils ne comprennent pas les fonctionnements. Je les sens agité·es, comme s’ils et elles avaient besoin d’en parler. Cet évènement les a visiblement marqué·es et l’audience d’aujourd’hui semble en raviver les souvenirs.

Une femme raconte, probablement pour la énième fois, le cambriolage dont elle a été victime. Une autre explique qu’il ne faut pas laisser le courrier trop longtemps dans la boîte aux lettres car cela «attire l’attention des voleurs». Le procureur répond aux questions, les écoute, calmement.

De retour dans la salle, les juges annoncent que l’accord est accepté. Il prévoit une peine privative de liberté de trois ans, dont un an ferme, une expulsion du territoire suisse pendant cinq ans, le versement de près de 70’000 francs aux parties plaignantes. Il est précisé que la peine de prison doit être effectuée avant l’expulsion. Chaque partie signe l’accord. La procédure est terminée.
L’audience a eu lieu le 28 juin 2022.

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