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Qu’en est-il de l’IVG en Suisse?

Auria Miot voit des incohérences dans le traitement des IVG par l’assurance-maladie en Suisse.
Droits fondamentaux

Après l’abrogation par la Cour suprême américaine de l’arrêt Roe v. Wade, qu’en est-il de l’IVG en Suisse? L’IVG est inscrite dans le Code pénal suisse (article 119, al. 2) et n’est pas punissable si elle est pratiquée jusqu’à la douzième semaine de grossesse. Au-delà de ce délai, l’IVG est possible pour des raisons médicales (par exemple mort du fœtus ou maladie congénitale) qui risquent de mettre la mère en danger ou si elle est dans un état de grande détresse.

En Suisse, une femme sur six est concernée au moins une fois dans sa vie par l’IVG, une femme sur quatre par la fausse-couche. Ainsi, une large partie de la population féminine vit l’une ou l’autre durant sa période de fertilité, et souvent se heurte alors à un grand tabou: dans un cas comme dans l’autre, une femme préférera garder cela pour elle afin d’échapper aux jugements des uns et à la gêne des autres. Cette zone de non-dits se reflète dans les inégalités de traitement en matière d’assurance maladie (LAMal).

Dans le cadre de la LAMal, la maternité est couverte intégralement, c’est-à-dire sans participation aux frais et sans franchise et ce, depuis 2014. Dès la treizième semaine de gestation, tous les frais de santé (et pas seulement les frais liés à la grossesse stricto sensu) sont pris en charge intégralement et hors franchise par la LAMal. C’est également le cas de la fausse-couche, dont le remboursement est intégral et non soumis à franchise après la treizième semaine.

Ainsi, dès le début de la treizième semaine de grossesse, la santé de la femme est totalement prise en charge par la société. Grâce à son rôle reproducteur, la femme accède à une reconnaissance qui se traduit pécuniairement par la couverture totale de ses frais de santé, et à une protection: protection de sa grossesse.

A contrario, la fausse couche et l’interruption volontaire de grossesse intervenues avant ne seront pas remboursées entièrement par la LAMal: dans ces deux cas, franchise et quote-part s’appliqueront. Or, le curetage, c’est-à-dire l’intervention sous anesthésie proposée par le-la gynécologue à la suite d’une fausse couche et l’IVG prévoient techniquement le même geste chirurgical. Ainsi, une femme qui subit un arrêt naturel de grossesse avant la treizième semaine, ou qui avorte volontairement, supportera en plus d’un fardeau psychologique et physique, un fardeau économique pouvant aller jusqu’à 3000 francs.

Pourquoi cette différence de traitement? La grossesse avant la treizième semaine n’est-elle donc pas considérée comme une grossesse à part entière? Une femme qui apprend qu’elle est enceinte et qui, dès le début de sa grossesse, se projette dans sa vie de future mère, n’est-elle pas vraiment enceinte? Dans l’optique de l’assurance de base, une femme n’est-elle enceinte qu’après la treizième semaine? Une IVG avant ce terme est une interruption de quoi, au juste? A l’heure des vagues réactionnaires qui déferlent contre l’IVG dans le monde, comment comprendre ces discordances? La grossesse est une affaire publique quand cela arrange et une affaire privée quand cela dérange? Que ce soit avant ou après la treizième semaine de grossesse, la reconnaissance de la douleur de la perte d’une grossesse désirée et donc la couverture de l’ensemble des frais y afférents, et le droit à l’avortement sans jugement et sans stigmatisation dans le cas d’une grossesse non désirée relèvent du même combat contre une société patriarcale qui accapare le corps des femmes et édicte à leur place ce qui est bon ou pas bon.

Auria Miot,
Genève

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