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«Un bond des mentalités est nécessaire»

Face au modèle capitaliste «prédateur», Miguel D. Norambuena propose de «réparer le lien social» en agissant au quotidien.
Société

Et si le capitalisme était éternel? Pour une pensée politiquement bien aguerrie et non capitaliste, l’idée est à couper le souffle. En effet, nous avons beau chercher d’où nous venons et ce que nous prépare demain, quelle que soit l’origine du changement, nous restons plus ou moins au même point. Le capitalisme va toujours demeurer foncièrement le même: prédateur, tant pour des générations entières d’espèces humaines que non humaines. C’est sa nature et sa raison d’être. Dès lors, si nous tentons de rester clairvoyants, nous voyons s’imposer soit une déprime certaine, soit un cynisme opportuniste. Sinon, nous pouvons également poursuivre ce que nous faisons avec un subtil bémol qui fait toute la différence.

Nous pouvons nous efforcer de déplier nos propres forces immanentes, notre capacité créative de persévérer dans une existence, à partir de la concrétion sociale des désirs d’émancipation. Nous pouvons ainsi ne pas rester dans le déni et le repli d’un assujettissement et un asservissement volontaire. Il s’agit de se soustraire individuellement et collectivement de tout ce qu’asservit la «normopathie» et de tout ce qui tue la différence. Tout ce qui dénigre, exclue et efface l’altérité. Tout ce qui exploite les faibles. Enfin, tout ce qui méprise la singularité, le soin de soi et des autres, la générosité ainsi que le soin de la terre, la biosphère et du biotope.

Le capitalisme dans ce sens demeure bien plus fort que ce que l’on croit. Son astuce? Faire en sorte que chacun·e soit à la fois consommateur·trice et producteur·trice de «normopathie». Depuis que les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) sont à l’œuvre, il suffit d’un tout petit geste durant la journée, comme un «J’aime», par exemple, est c’est bon. Le tour est joué. Ainsi, on peut gesticuler à droite comme à gauche, mais l’essentiel est fait. Les «cartels» tentaculaires nous maintiennent en otage dans un tout-béton et tout-goudron et autres matières synthétiques dès notre premier âge. Ils ne font que contribuer à la dématérialisation néolibérale en course.

Dès lors on peut voir partout autour de nous une «industrie de la mort» (D.B. Rose) qui se développe au détriment du lien social. Cette contraction exponentielle de la richesse polyphonique du lien social nous appelle à un véritable sursaut. Ce bond des mentalités est nécessaire et permet de faire émerger des nouvelles sensibilités, valeurs et habitudes. Il permet un regain de confiance et de plénitude parce qu’agissantes.

Désormais, pour mener une «vie bonne» (J. Butler), il ne suffit plus de penser pour être. On doit agir et le faire concrètement dans des agencements situés au quotidien. Ces actions situées permettent de soigner un lien social de plus en plus malade, souffrant. Elles réparent le vivant, humain comme non humain, ainsi que leur liens et rapports connectifs réciproques. Finalement, nous pourrons ainsi, nous diriger décidément vers une «écologie des pratiques», selon l’expression si heureuse et pertinente d’Isabelle Stengers.

* Consultant psychosocial indépendant, Genève.

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