Chroniques

Impressions hospitalières 2022

À votre santé!

Depuis quelques semaines, j’ai le privilège de refaire quelques consultations dans un hôpital romand, pour un temps déterminé. Je dois dire que j’ai été très bien reçu par l’équipe qui y travaille et je m’y sens à l’aise. On m’a très vite expliqué que je devais utiliser le programme informatique de la structure et, à part la personne qui m’en a fait l’introduction, les collaborateurs et les collaboratrices m’ont tous, chacun·e à sa manière, souhaité «bonne chance»…

Je ne me suis jamais autant félicité d’avoir informatisé mon cabinet cinq ans avant ma retraite, réussissant, assez rapidement, à maîtriser les fonctions basiques qui me sont utiles. Cela dit, deux observations ont retenu mon attention: d’une part, chacun·e sait utiliser la partie du programme correspondant à sa fonction, mais pas du tout l’ensemble – certainement trop vaste. D’autre part, si toutes les tâches peuvent être effectuées sur dossier électronique, certaines sont encore réalisées sur papier… «parce que ça va plus vite!».

Il y a peu, il s’est avéré plus simple pour notre petite équipe de se déplacer quelques après-midi auprès d’un collectif de patients: cela a créé un émoi, parce qu’on allait visiter des patient·es non encore inscrit·es dans le programme: «Mais docteur, il faut qu’ils aient une étiquette, vous ne pouvez pas les voir sans cela; ça ne se fait pas ici.» J’ai compris que je déstabilisais un système avec des algorithmes bien rodés, mais peu habitué aux exceptions. Il n’y avait pas d’agressivité dans la remarque et, après une discussion sereine, une solution acceptable pour tou·tes a été trouvée. Une des craintes majeures était la suivante: «Mais alors, comment va-t-on facturer?» Là encore, ma pratique en cabinet m’a aidé à trouver avec le service de facturation une solution, «en dehors des clous», mais qui correspond bien au travail effectué!

Tout ceci est anecdotique, bien sûr, mais démontre que l’administratif a pris beaucoup de place dans la profession de soignant·e, et que même celles et ceux qui travaillent avec les outils informatiques depuis quelques années ne semblent pas se les être appropriés comme un instrument facilitateur et aidant, mais ont davantage vécu cette transition comme un passage obligé, effectué parfois «à la va-vite». Pourtant, combien c’est utile pour le spécialiste qui verra le patient après moi de pouvoir simplement lire ce que j’ai «documenté» – parfois de manière plus détaillée qu’une lettre que je lui aurais envoyée!

Néanmoins, une étude mandatée par la Fédération des médecins suisses (FMH), en 2019 déjà, concluait que «dans le système de santé suisse, de nombreux changements sont prévus ou déjà en cours. La façon dont les hôpitaux gèrent ces changements fait l’objet d’une évaluation de plus en plus critique [de la part des médecins-assistants], si bien qu’une tendance négative devient perceptible. Seulement un peu moins de la moitié des médecins interrogés pensent encore que la gestion des changements par les hôpitaux est bonne.»1>Golder, L: Etude concomittante de Swiss DRG sur mandat de la FMH 2019, https://cockpit.gfsbern.ch/fr/cockpit/etude-concomitante-fmh-2019/ Ce malaise expliquerait-il en partie le nombre de burn-out que l’on attribue peut-être un peu trop facilement à la crise du Covid-19? Le problème serait-il donc plus structurel que conjoncturel? La charge administrative ne s’est apparemment pas allégée avec l’apparition de l’informatique: sous cet aspect, la cible annoncée est ratée.

Je ne peux terminer cette chronique sans faire référence à un article d’une jeune consœur2>«De l’autre côté du lit: de la blouse blanche à la chemise d’hôpital», Bulletin des médecins suisses (BMS), 2022:103(20):695-697, https://bullmed.ch/article/doi/bms.2022.20699 devenue du jour au lendemain patiente, et qui décrit très bien à la fois les performances techniques dans sa prise en charge et l’accumulation des bugs: on la monte à l’étage dans un lit avec son nom noté dessus «parce que c’est plus simple de faire les transferts en lit ou en chaise», alors qu’elle était arrivée à l’hôpital à pied; on ne peut pas lui donner la médication prescrite aux urgences quand elle arrive vers 20h dans le service d’hospitalisation, «parce que le dossier informatique n’est pas disponible» et ne l’obtiendra finalement qu’à 1h du matin; la non-disponibilité de son dossier (ou le fait que l’on ne réussisse pas à ouvrir?) retarde une petite intervention; et j’en passe… L’informatique, comme bouc émissaire?

Dans notre système de soins, qui reste l’un des meilleurs au monde et accessible à tous, il y a quelque chose de grippé. Tous les soignants et les soignantes vous le diront: le patient est notre priorité mais, dans les faits, il y a beaucoup d’obstacles plus ou moins objectifs ou objectivables pour pouvoir être vraiment centré sur lui.

Notes[+]

Bernard Borel est pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle.

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lundi 8 janvier 2018

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