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Ode à un sans-culottes au grand cœur

Figure attachante des luttes sociales, William Riceputi, nous a quittés. Au micro de Libradio et dans plusieurs festivals genevois, il a défendu ses convictions humanistes.
Ode à un sans-culottes au grand cœur
William Riceputi lors de la biennale BIG en 2019, Genève. OLIVE
Carnet noir

Il était d’une générosité et d’une disponibilité rares. Le cœur de William Riceputi a cessé de battre dans la nuit de samedi à dimanche, mais son souvenir ne quittera pas celui des nombreuses personnes qui ont croisé sa route. William était un être précieux, attentif, engagé. Au carrefour des luttes, ancré avec toute sa conviction libertaire dans le monde associatif genevois et romand. Mal en point, il avait entamé un nouveau cycle de chimiothérapie qu’il pressentait impitoyable. Cela ne l’empêchait pas de garder le contact avec celles et ceux qui, comme lui, croyaient en un monde meilleur, moins sauvage et égoïste. Il avait 49 ans.

Employé des ludothèques municipales, William Riceputi était la voix de Libradio, un web-média mobile et itinérant, présent dès qu’un événement contestataire, une manif ou un festival sans but lucratif faisait l’actualité. Son micro à bonnette jaune recevait toute personne défendant des convictions humanistes, sans exclusive, avec la bienveillance qui le caractérisait. Les gens, invariablement, dans sa bouche, étaient des «loulous».

Festival anar aux Pâquis

«Ce qui nous relie, c’est notre volonté de dépasser la domination – notamment le capitalisme, puisque c’est l’une de ses formes les plus insidieuses – ainsi que l’identification à des rôles qui tracent des frontières entre les personnes», expliquait-il à L’Evenement syndical en 2015 dans un portrait signé Aline Andrey. «Si je vois un papi faire les poubelles, ça m’enrage comme si j’avais 16 ans», confiait ce fils d’ouvrier italien immigré, dont il était orphelin depuis l’adolescence.

Membre fondateur de l’association La Comète, William a mis sur pied avec un noyau de bénévoles des événements marqués par l’horizontalité, la participation et l’éclectisme. C’étaient les concerts hip hop, reggae ou punk de Châto Bruyant, festival autogéré de la place Chateaubriand, aux Pâquis, à des lieues des raouts commerciaux. Entre des actions de solidarité avec l’Amérique latine ou l’Afrique, après un passage par la friperie à prix libre, on pouvait y déguster une raclette en plein mois de juillet et boire des coups en refaisant le monde. William n’était jamais loin, micro en main, en prise directe avec la vibration du moment. Autres événements emblématiques: le festival Jours de Mai ou les Sanculotides, «un Noël athée, anti-consumériste et solidaire».

Amour et révolution

Mais William était en mauvaise santé. Il donnait tout de lui-même, jusqu’à l’énergie dont il ne disposait plus. Une photo récente postée sur les réseaux sociaux le montre assis en blouse blanche, à l’hôpital, aux côtés de deux camarades pour faire la pub du Cercle de lectures sociales de Libradio. Le 8 mars dernier, il n’avait pu prendre part, comme il l’aurait voulu, à la journée de luttes féministes et s’en excusait presque, réalisant tout de même des interviews en amont pour soutenir l’événement.

«C’était vraiment une très belle personne, hors norme, particulièrement inspirante», témoigne Emmanuel Deonna, député socialiste au Grand Conseil. Paolo Gilardi, militant antimilitariste et ex-enseignant, témoigne sur Facebook: «Je l’avais eu comme élève en 8e du Cycle d’orientation. Je l’ai retrouvé bien plus tard, activiste radio. On avait fait une longue interview à l’occasion du 30e anniversaire du vote sur l’armée. Que la terre lui soit légère…» Régisseuse de Libradio, Igore résume en deux mots son ami disparu: «Amour et révolution!» Elle relate cette anecdote, en apparence banale, mais éloquente: «On vivait en coloc et, arachnophobe, je l’avais appelé à l’aide pour me débarrasser d’une araignée. Refusant de la tuer, il l’avais prise avec une délicatesse incroyable et emmenée dans sa chambre pour préserver une vie.»

Nouvelles radicalités

En 2018, pour un dossier consacré à l’héritage de Mai 68, Le Courrier l’avait retrouvé dans le quartier des Grottes, berceau des luttes urbaines à Genève. Pas dupe, il n’ignorait rien de la dimension petite-bourgeoise de l’éruption révolutionnaire d’alors. Mais il préférait y voir la matrice de nouvelles radicalités enthousiasmantes: décroissance, mobilité douce, transversalité. La radicalité pour William, n’était pas nécessairement spectaculaire, elle se logeait aussi dans ces petits riens partagés au quotidien: «Quand, après une manif, trois loulous discutent cuisine et échangent des astuces vegan, par exemple.»

Une conviction, ferme lui tenait lieu de boussole: «L’autogestion, c’est l’ordre moins le pouvoir. C’est partagé, réfléchi, rationnel. Et quiconque y goûte voit tout ce qu’il y a à y gagner.» Comme le proclame la banderole brandie sur les réseaux par les Malagnou Kids, un collectif d’occupation contre le mal-logement, «tu vas nous manquer, William!»

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