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Quand des puristes réactionnaires s’en prennent à l’Académie française

L’introduction dès la rentrée 2023 de l’orthographe «rectifiée» dans les écoles obligatoires romandes<fn>Lire «Une écriture plus inclusive à l’école» (ATS), Le Courrier du 9 juin 2021, cf. ci-dessous.</fn> suscite des remous. Enseignant et didacticien retraité, Serge Erard livre son point de vue.
Langue

La polémique autour de l’orthographe est relancée à l’occasion de l’application des rectifications orthographiques dans les moyens d’enseignement romands. En effet, ce renouvèlement est présenté par ses détracteurs comme impliquant un nivèlement par le bas du niveau orthographique des élèves. Cette querelle n’est pas nouvelle puisqu’elle a traversé les siècles. Le château de cartes des arguments des nostalgiques de la dictée s’effondre pourtant dès que l’on a compris qu’il est possible de continuer d’écrire comme avant la réforme de 1990.

Quelques constats

L’orthographe n’est pas la langue, mais la transcription écrite des sons de la langue. C’est un code graphique qui est donc sujet à variations: on n’écrit plus comme Ronsard. Ce vernis, visible à l’écrit, peut d’ailleurs parfois recouvrir une pauvreté de contenu, cacher une maigreur stylistique et des déficiences syntaxiques.

Selon certaines études, 80% des francophones natifs ne maitrisent pas le code écrit; il parait donc indispensable de permettre à un maximum d’usagers de le partager.

Il s’agit de recommandations entérinées par l’Académie française: «aucune des deux graphies ne peut être tenue pour fautive». Les académiciens n’ont pas la réputation d’être des anarchistes de la grammaire ni des fossoyeurs de la langue. Pas assez fondamentalement novatrice selon certains linguistes, cette réforme entraine la modification d’un peu plus de deux-mille mots et est le fruit d’un travail sérieux de linguistes, de grammairiens et de lexicologues émérites. Tous ne sont pas des traitres envers la norme! Contrairement à ce qu’on a pu lire ou entendre dans certains médias, il n’est nullement proposé d’écrire comme on veut, ni phonétiquement (ce que préconisait Meigret en 1542). Les graphies classiques ont d’ailleurs été maintenues pour éviter les ambigüités (du/dû, croit/croît…).

«En effet, les rectifications proposées ne consistent en aucune manière à simplifier des graphies résultant d’une évolution étymologique ou phonétique, mais visent à mettre fin à une anomalie, à une incohérence, ou, simplement, à une hésitation, et ainsi à permettre l’application sans exceptions inutiles d’une règle simple, à souligner une tendance phonétique ou graphique constatée dans l’usage, ou encore à faciliter la création de mots nouveaux, notamment dans les domaines scientifique et technique, et, de manière générale, à rendre plus aisés l’apprentissage de l’orthographe et sa maitrise.», @académie-française.fr, 05.02.2016

Quoi de neuf?

Ces rectifications ne constituent pas une nouvelle orthographe. Elles permettent d’écrire: un portemonnaie couteux, un millepatte piquenique sur un nénufar, la serpillère sèchera en aout, son exéma disparaitra surement, des ognons douçâtres… Si vous trouvez cela scandaleux et choquant, rassurez-vous: vous pouvez continuer à orthographier comme vous avez appris, notamment refuser des graphies pourtant plus cohérentes et logiques que sont imbécilité, relai, charriot, combattif, bonhommie, persiffler ou assoir…

Les élèves, dont semblent se soucier les opposants à la réforme de 1990, n’ont pas à apprendre une autre orthographe pour lire et comprendre des textes, puisque la lecture oralisée de ceux-ci n’est nullement perturbée. A l’écrit, il suffit de choisir, dans les préférences du correcteur de Word, le mode «français orthographe rectifiée».

Que faire?

Plutôt que d’argüer contre ces rectifications, recommandées entre autres par la Fédération internationale des professeurs de français ainsi que l’Association suisse des professeurs de français et mentionnées dans le dictionnaire Hachette depuis 2002, il y a urgence à proposer un enseignement de la grammaire cohérent et intelligent qui fasse percevoir la langue comme un système.

Note de l’auteur: La présente lettre applique les rectifications orthographiques. Les mots concernés n’ont volontairement pas été soulignés, pour qu’on se rende compte, à la lecture, que celle-ci n’en est en rien affectée. Jeu: amusez-vous à repérer les graphies rectifiées; elles sont au nombre de 32.

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