«Les enfants que nous voulons!»
Le slogan figurait sur les pancartes de nos grands-mères ou de nos mères; malheureusement, dans un terrible retour de l’histoire, il pourrait à nouveau devoir être brandi dans les rues de Suisse, comme dans celles de nombreux pays. En effet, l’actualité internationale a une fois de plus remis le droit à l’avortement sur le devant de la scène. Les quelques mètres gagnés ces dernières années sur le droit à disposer de nos corps, dans le sillage de #metoo notamment, suscitent de part et d’autre de l’Atlantique de violentes réactions des milieux de la droite conservatrice et religieux.
L’annonce récente de l’annulation aux Etats-Unis de l’arrêt Roe vs Wade qui dépénalise l’avortement depuis 1973 fait à nouveau planer une menace sur le choix des femmes de poursuivre ou non une grossesse. Cette décision de la Cour suprême, si elle est confirmée, pourrait ainsi remettre en cause la pratique en vigueur depuis près de 50 ans. Chacun des 50 Etats aurait sa propre législation, et, on le sait, certains sont déjà en train de durcir leurs lois (Oklahoma, Texas, Mississipi). Bien qu’il ne s’agisse pas d’une interdiction totale, cette réduction importante du droit à interrompre volontairement une grossesse aura sans aucun doute des conséquences majeures pour les femmes: elle ouvrirait la porte au tourisme de l’avortement, discriminerait les femmes en situation précaire et mettrait fortement en péril la santé et la vie des femmes, avec le probable retour des pratiques de faiseuses d’anges.
Malheureusement, la situation étasunienne n’est pas une exception. On assiste en effet depuis quelques années à la recrudescence de mesures restrictives dans plusieurs pays aux mains de la droite conservatrice, pour ne pas parler de l’extrême droite. Rappelons-nous le Brésil de Bolsonaro où les Eglises catholiques et évangéliques conservatrices sont particulièrement puissantes. Le pays, qui n’autorisait l’avortement qu’en cas de viol, de danger pour la vie de la femme ou de problèmes congénitaux graves du fœtus, décide, en 2020, de durcir le droit à l’avortement en cas de viol. Le personnel de santé étant obligé de proposer à la femme de voir l’embryon ou le fœtus par échographie avant l’opération. Celle-ci devra aussi «raconter en détail» ce qui s’est passé et risquera des poursuites si elle ne peut pas prouver ses dires.
Rappelons-nous également la Pologne qui, depuis 2020, n’autorisait l’avortement que dans deux circonstances: les grossesses résultant d’un acte illégal ou le risque pour la vie ou la santé de la femme enceinte. En 2021, on assiste à un nouveau durcissement: l’avortement est interdit en cas de grave malformation du fœtus, même mortelle. Cette décision a d’ores et déjà coûté la vie à plusieurs femmes, à la suite de septicémies. Plusieurs milliers de femmes sont ainsi contraintes d’interrompre leur grossesse de manière illégale ou à l’étranger.
La Suisse n’est, quant à elle, pas épargnée par ces offensives; deux initiatives courent jusqu’en été 2023. Dans notre pays, la lutte pour la dépénalisation de l’avortement fut âpre et longue. Rappelant que la solution du délai, soit la version helvétique du «droit» à l’avortement, n’est entrée en vigueur qu’en 2002. Les femmes peuvent ainsi interrompre une grossesse durant les 12 semaines qui suivent leurs dernières règles après en avoir fait la demande écrite et invoqué une situation de détresse.
En 2014, première attaque d’ampleur avec l’initiative «Financer l’avortement est une affaire privée», soutenue par l’UDC, qui s’opposait au remboursement de l’avortement par l’assurance maladie de base. Le projet cherchait à pénaliser indirectement l’avortement en l’excluant des prestations de la LAMal. Cette stratégie a échoué, mais les attaques se poursuivent. Lancées à la fin de l’année 2021 par deux conseillères nationales UDC, soutenues par des membres de l’UDF, du Centre et de l’UDC, ces deux initiatives sont actuellement en cours de récolte de signatures. Leur objectif est de réduire le nombre d’IVG – pourtant au plus bas depuis des années. Intitulée «La nuit porte conseil», la première souhaite un jour de réflexion pour la femme enceinte avant sa prise de décision. La seconde, «Sauvons les bébés viables», porte sur les IVG tardives.
Derrière ces attaques, quelques traits communs: une volonté de garder ou de reprendre le contrôle sur le corps des femmes, un déni du droit à la santé mentale et physique pour la moitié de la population, une impunité retrouvée face aux violences sexistes (viols, incestes) et des pratiques de minorisation («La nuit porte conseil»). Ainsi, 50 ans après les grandes mobilisations féministes et les premières victoires pour le droit à disposer de son corps, à avoir des enfants désirés, pour l’autodétermination, le droit à l’avortement tangue sous le coup d’attaques religieuses et hétéro-patriarcales. Preuve, s’il en fallait encore une, que le droit à une citoyenneté pleine et entière ne sera pas gagné tant que les femmes ne pourront pas décider de poursuivre ou d’interrompre leur grossesse.
Miso & Maso sont investigatrices en études genre.