Édito

Ne livrons pas la liberté d’informer

Ne livrons pas La liberté d’informer
Alors que le monde occidental est horrifié par les exactions de l'armée russe, Julian Assange pourrait être livré aux Américains dans l'indifférence quasi générale des médias. KEYSTONE
Liberté de la presse

La Journée internationale de la liberté de la presse se tient ce mardi dans une atmosphère peu propice aux célébrations. Rien n’est moins favorable, on le sait, au droit à l’information que la guerre et son cortège de censures, de répression et de propagande. Où même dans les colonnes des médias les plus libres, le storytelling et la tendance à l’unanimisme prennent souvent le pas sur ce qui devrait être le cœur du journalisme: la recherche de la vérité.

Paradoxalement – ou pas –, à l’heure où le monde occidental a les yeux rivés sur les horreurs commises par l’armée russe, l’un des hommes qui symbolisait le mieux la dénonciation des crimes de guerre et des manipulations de la propagande joue sa peau dans l’indifférence quasi totale. Julian Assange, fondateur du site WikiLeaks, à l’origine de tonitruantes révélations sur les exactions de l’armée des Etats-Unis – comme la pratique de la torture à Guantanamo, en Irak et en Afghanistan, ou l’exécution de deux journalistes de Reuters en Irak –, pourrait être livré au responsable de ces crimes. Un Etat qui a pris soin, hypocritement, de l’attaquer non pas pour la révélation de ses turpitudes impunies mais pour un prétendu crime d’espionnage.

La pirouette ne dupe que celles et ceux qui souhaitent l’être. Le message envoyé est limpide: la publication de secrets gênants pour Washington n’est plus tolérée. Journalistes, médias, lanceurs et lanceuses d’alerte ne peuvent pas dire qu’ils et elles n’ont pas été prévenu·es.

Depuis plus de dix ans, les Etats-Unis et ses alliés mènent une traque impitoyable contre la figure de proue de WikiLeaks, coupable d’avoir servi d’interface entre whistleblowers et grand public. Une campagne nauséabonde débutée par une pseudo-plainte pour viol et l’accusation assénée sans preuve que les révélations auraient causé du tort à des agents US. Puis poursuivie par la violation de son droit à l’asile octroyé par l’Equateur, la vidéosurveillance de l’intérieur de son refuge londonien et même l’élaboration d’un plan de la CIA visant à l’assassiner dans l’ambassade sud-américaine! Et pour corser le tout, une incarcération dès 2019 d’une dureté inimaginable, qualifiée de torture par l’ONU, et basée sur une procédure juridique secrète pour espionnage (révélée en 2018 par WikiLeaks et annoncée un an plus tard par les USA) auprès d’un tribunal croupion de Virginie…

Des méthodes iniques, scandaleuses de la part d’Etats se revendiquant de droit et démocratiques. Elles devraient déciller les yeux de celles et ceux qui pensent que Julian Assange bénéficierait d’un procès équitable aux Etats-Unis, où le médiactiviste australien risque la prison à perpétuité.

Il appartient au ministre de l’Intérieur britannique de valider, d’ici à deux semaines, l’extradition de M. Assange, avant un hypothétique recours de la dernière chance auprès de la Cour européenne des droits humains. Deux semaines pour redoubler d’efforts en faveur d’un journaliste mais aussi pour une certaine idée du journalisme.

Opinions Édito Benito Perez Liberté de la presse

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