Elu sans état de grâce
Le creusement de l’écart entre Emmanuel Macron et Marine le Pen s’est donc confirmé ce dimanche. A l’heure où nous avons rédigé cet éditorial, le président sortant l’emportait par quelque 58% des voix contre 42% à sa rivale d’extrême droite; ceci alors que cette dernière avait pu donner l’impression de menacer son rival en dépassant dans les sondages la barre des 47% au début du mois.
Visiblement, le vote barrage fonctionne toujours. Ce qui est une bonne nouvelle, tant il est vrai que si les deux candidat·es sont issu·es du même moule libéral fait de démantèlement social et de cadeaux au grand capital, l’arrivée au pouvoir de l’héritière d’un parti fasciste aurait eu des effets dévastateurs. Pour les plus défavorisés, bien sûr, puisque au démantèlement social se seraient rajoutés le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie décomplexée. Mais plus largement sur l’ensemble en menaçant les institutions.
On constate néanmoins que le repoussoir de l’extrême droite fonctionne moins bien. Le fumet raciste chatouille des papilles de plus en plus largement. La droite traditionnelle est devenue perméable aux idées extrémistes. La candidature d’Eric Zemmour portée par Vincent Bolloré et qui a participé du processus de «dédiabolisation» de Marine le Pen est là pour en témoigner. Une partie du patronat est prêt à se rallier à un raciste patenté et récidiviste. Et Emmanuel Macron, éborgneur des gilets jaunes, lacérateur de tentes des migrant·es à Calais et sourd aux cris des naufragés de la Méditerranée, est bien mal placé pour se poser en rempart contre la droite extrême.
Le président sortant perd près de huit points par rapport 2017. L’abstention qui a atteint un niveau record est aussi passée par là. Elle traduit un certain désarroi des Français·es se sentant orphelin·es de la politique. Et la campagne hors-sol du Marcheur n’a rien pour rassurer. On peut comprendre la frustration exprimée par de nombreux votant·es par rapport à ce deuxième tour dont la configuration a permis d’esquiver la plupart des débats qui structureront ces prochaines années: climat, justice sociale, fiscalité, politique internationale, etc. Mais ce dilemme est connu: tout système électoral connaît des angles morts, il arrive qu’une personne qui aurait eu davantage de chance de l’emporter au deuxième tour ne soit pas qualifiée au premier. Un exercice de Sciences Po de première année… Il eût fallu y penser avant.
Le troisième tour, celui des législatives du 12 juin prochain, a déjà commencé. Et il va être crucial pour bloquer le rouleau compresseur néolibéral. En cela, l’initiative prise par l’équipe de Jean-Luc Mélenchon de prendre langue avec les autres composantes du peuple de gauche en vue d’un regroupement sur des valeurs communes peut donner espoir. Il permettra peut-être de rompre avec le social-libéralisme incarné encore récemment par François Hollande. Et qu’on observe ces jours-ci en Allemagne avec un Gerhard Schröder, l’inventeur de la troisième voie avec Tony Blair, empêtré dans ses liens incestueux avec Poutine. Une dynamique qui entraîne toute la social-démocratie dans un naufrage.
La gauche du XXIe siècle reste à réinventer, c’est sans doute cela la vraie leçon de ce dimanche.