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Alarmisme fédéral en trompe-l’œil

La hausse de la contribution helvétique à l’agence européenne de surveillance des frontières passera par les urnes le 15 mai. La revue Vivre Ensemble dénonce les «arguments manipulatoires» émis par le Conseil fédéral dans le cadre de la campagne de votation et questionne la minimisation d’actes reprochés à Frontex tels que la violation de droits fondamentaux.
Alarmisme fédéral en trompe-l’œil
Un non dans les urnes permettrait au parlement suisse de proposer une loi plus respectueuse des droits humains, selon les opposant·es à Frontex. KEYSTONE
Frontex

«Si on joue avec le feu, il ne faut pas s’étonner après que la maison brûle»; «Graves conséquences pour la sécurité de la Suisse»; «Il faudrait faire la queue aux frontières, comme il y a vingt ans»; «Plusieurs milliards par an de perte pour l’économie suisse». Le Conseil fédéral n’a pas lésiné dans les métaphores ultra alarmistes pour lancer sa campagne en faveur de la loi sur Frontex attaquée par référendum et sur laquelle la population se prononcera le 15 mai.

Une exclusion automatique de Schengen?

Son argument principal: affirmer que la Suisse serait automatiquement exclue de l’accord d’association à Schengen en cas de rejet. Argument qualifié de «manipulatoire» par les socialistes et les Vert·es.1>Conférence de presse du comité unitaire genevois contre Frontex, 21.03.21. Vidéo et dossier de presse sur asile.ch; voir aussi referendum-frontex.ch Leurs élu·es estiment qu’un «non» à Frontex permettra au Parlement suisse de se remettre au travail pour proposer une loi plus respectueuse des droits humains. Car si on ne peut pas modifier Frontex, on peut transformer l’architecture de la participation suisse à cette agence et l’assortir de conditions. Il appartiendra alors à la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter de demander à ses homologues européens – qui ont d’autres préoccupations actuellement et ne souhaitent pas une division au sein de l’Europe – de patienter jusqu’à la fin du processus législatif.

Frontex n’est pas la seule loi liée aux discussions de Schengen à devoir repasser devant le Parlement suisse. Selon le conseiller aux Etats Carlo Sommaruga (PS/GE), «la Suisse a déjà notifié à diverses reprises l’acceptation du développement de Schengen avec retard, sans jamais être exclue. En 2017, c’est même avec trois ans et demi de retard» qu’elle a notifié son adhésion à une autre agence (EU-LISA).

«L’objet avait été renvoyé au Conseil fédéral, lequel avait été contraint de présenter un nouveau message au Parlement». Sans menace d’exclusion par les Européens. C’est exactement ce qui pourrait se passer au terme de cette votation, qui n’est pas un «oui» ou «non» à Schengen, mais à une loi suisse (lire ci-contre). C’est d’ailleurs pour rappeler que le débat peut être à nouveau ouvert qu’une initiative parlementaire a été déposée au Parlement le 17 mars 2022 (iv.pa22.413) par le conseiller aux Etats socialiste Daniel Jositsch. Karin Keller-Sutter joue sur la peur en prétendant que c’est ça ou l’exclusion. Si les enjeux liés à Schengen et Dublin sont si essentiels pour la Suisse, aucun doute qu’elle parviendra très bien à expliquer la façon dont fonctionne le système législatif helvétique, où le débat peut rester ouvert en cas de non.

L’argument des autorités fédérales a en tout cas fonctionné jusque dans les rangs d’organisations telles qu’Amnesty Suisse et l’OSAR [Organisation suisse d’aide aux réfugiés] qui ont refusé de soutenir le référendum, l’OSAR craignant même la fin de la participation suisse à Dublin (sic)! Aujourd’hui, les deux organisations ont décidé de ne pas donner de consigne de vote.

La marge de manœuvre helvétique

La Suisse a la possibilité d’adapter sur le plan législatif les lois de mise en œuvre des directives de l’Union européenne. Preuve en est le travail parlementaire en lien avec l’adoption du Message du Conseil fédéral lié à Frontex, où diverses propositions ont été formulées et débattues, en particulier des mesures d’accompagnement humanitaires. Elles ont été écartées, non parce que ce n’était pas possible et aurait exclu la Suisse de Schengen, mais par choix – le conseiller fédéral Ueli Maurer et la conseillère fédérale Karin Keller Sutter ayant pesé de tout leur poids pour exclure toute mesure en ce sens.

En témoigne le communiqué2>Communiqué de presse de la CPS-CE, 25 mai 2021. publié par la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats: «Lors des débats parlementaires, une majorité de la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats (CPSE) s’est montrée critique envers la politique migratoire de l’UE et a proposé d’apporter des modifications au projet soumis par le Conseil fédéral, en introduisant des mesures d’accompagnement humanitaires, par exemple la mise en place de voies sûres à travers des quotas, des mesures juridiques visant à garantir le respect des droits des personnes cherchant refuge, ainsi que des ‘bases légales claires pour l’attribution des compétences entre le Conseil fédéral et le Parlement quant à l’intervention des spécialistes de Frontex en Suisse’.» SMA

Notes[+]

Sophie Malka est coordinatrice et rédactrice de la revue Vivre Ensemble. Articles parus dans le no 187 d’avril 2022, asile.ch/revue-vivre-ensemble/

Projection: Samos – The Faces of Our Border, ma. 26 avril à 18h30, au Cinéma Bio, à Carouge (47, r. St-Joseph), en présence de Mary Wenker et Jean Ziegler, soirée organisée par le comité genevois No Frontex.

Une agence peu transparente

Peut-on se fier au Conseil fédéral alors que, dans sa communication de campagne de votation1>DFJP, «Le Conseil fédéral et le Parlement recommandent de voter oui (…) (Frontex)», 02.03.22, accès: bit.ly/3EzzdU4, il minimise les actes reprochés à Frontex en les qualifiant de «prétendues» violations des droits fondamentaux? Ou en arguant que de telles violations sont le fait des garde-frontières étatiques des pays et non des siens?

Par l’emploi de l’adjectif «prétendues», repris par les médias, le Conseil fédéral fait sienne la ligne de défense du directeur exécutif de Frontex. Ce dernier a toujours nié toute responsabilité de l’agence dans des refoulements dénoncés, filmés, documentés, tout en relativisant la notion même de «pushback», la qualifiant de «prévention au départ»2>Migreurop, «Frontex, 15 ans d’impunité», 08.12.20, http://migreurop.org/article3012.html!

Et que penser de l’affirmation du Conseil fédéral selon laquelle sa participation à Frontex permet de changer les choses de l’intérieur? Faut-il rappeler que la Suisse a déjà deux membres dans le Conseil d’administration de Frontex, dont l’un, Marco Benz, était présent lors de la conférence de presse du Conseil fédéral? Les pushbacks ont-ils diminué depuis?

Dans sa FAQ [liste de questions/réponses] en perspective des votations, le Conseil fédéral affirme: «Tout le personnel qui effectue des opérations de Frontex est tenu de dénoncer immédiatement d’éventuelles violations des droits humains constatées. Jusqu’ici aucun incident de ce genre n’a toutefois été rapporté.» Une affirmation bien péremptoire lorsque l’on sait que l’agence a été et est encore l’objet de multiples procédures et plaintes, et que le mécanisme de contrôle des droits fondamentaux existant est notoirement jugé inefficace3>referendum-frontex.ch, «La poudre aux yeux: le système de responsabilité de Frontex», décembre 2021..

Des révélations explosives. De nouvelles révélations de Der Spiegel et de la cellule d’investigation «Lighthouse report»4>Der Spiegel, «We Have a Lot of Evidence. Pressure Growing on Frontex Chief from Pushbacks Investigation», 21.03.22, bit.ly/3uX3wAN, en date du 17 mars 2021, indiquent que la direction de Frontex a su très tôt que les autorités grecques pratiquaient ces refoulements illégaux, qu’elle en avait les preuves, qu’elle les a dissimulées, contribuant à ce que ces pratiques se poursuivent. L’enquête divulgue documents et images internes d’un pushback de la Grèce vers la Turquie, classifiés comme «sensibles» par Frontex. Des preuves dissimulées qui s’ajoutent aux témoignages à charge collectés par l’Organe antifraude de l’UE (OLAF) durant ses investigations. Fin mars, son rapport était toujours classé confidentiel, et notamment inaccessible aux député·es européen·nes chargé·es du contrôle de Frontex, qui n’en avaient reçu qu’un résumé oral. Le chef de l’OLAF, Ville Itälä, n’en était pas moins catégorique: «Nous avons beaucoup de preuves». Fuitait la possibilité de mesures disciplinaires contre trois membres de la direction de Frontex impliqués dans cette affaire, y compris du grand patron Fabrizio Leggeri. Une façon de faire sauter la tête, tout en maintenant ces pratiques? Lors de la conférence de presse du Conseil fédéral, Karin Keller-Sutter a parlé d’une agence «transparente»…

Une lettre ouverte. Que savaient les membres suisses du Conseil d’administration? Qu’ont-ils communiqué aux autorités fédérales? Au vu de ces révélations et de leur importance dans le débat démocratique, le comité référendaire national a lancé une lettre ouverte5>La lettre ouverte a été traduite et publiée en français sur le site de Vivre Ensemble (asile.ch): «Frontex-leaks, Que savait le Conseil fédéral des pushbacks en Grèce?», 25.03.22, bit.ly/3uY2TqV à signer sur le site Frontex-leaks.ch. Celle-ci demande au Conseil fédéral qu’il s’engage pour que le rapport de 200 pages de l’OLAF soit rendu public en Suisse avant le vote sur Frontex du 15 mai, pour demander la démission du directeur de Frontex et pour que lumière soit faite sur ce que savaient les représentants suisses à Frontex et les autorités fédérales.

Pour une Europe humanitaire. C’est également plus de transparence que doit demander le Parlement suisse au travers de mesures d’accompagnement humanitaires jointes à une nouvelle mouture de la loi, estiment deux élu·es aux Etats genevois présents à la conférence de presse genevoise du 23 mars 2021 contre Frontex, Lisa Mazzone et Carlo Sommaruga. Parmi celles-ci, la création d’un monitoring suisse indépendant de Frontex, chargé de rapporter au Parlement suisse les violations des droits humains, des contreparties par l’ouverture de couloirs humanitaires et un élargissement des contingents de réinstallation, la criminalisation des pushbacks, etc. Et d’insister: «Le débat européen sur Frontex n’est pas fini. Un non suisse est une façon de soutenir les voix progressistes européennes». SMA

Notes[+]

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