Chroniques

L’éthique du travail social

L’ACTUALITÉ AU PRISME DE LA PHILOSOPHIE

L’éthique du travail social peut-elle prendre appui sur un modèle qui serait celui de la relation psychothérapeutique?

Travail social et psychothérapie

Le fait, pour un individu, de suivre une psychothérapie est une démarche tout à fait légitime. Il existe de très nombreuses approches parmi lesquelles la psychanalyse, l’approche humaniste-existentialiste ou encore les thérapies cognitivo-comportementales. L’objectif de la psychothérapie est d’obtenir un changement interne de la personne dans son fonctionnement psychologique, relationnel ou comportemental.

Cela étant, il est possible de se demander si l’approche psychothérapeutique peut constituer un modèle pour la relation dans le travail social. La définition internationale du travail social est la suivante: «Le travail social est une pratique professionnelle et une discipline. Il promeut le changement et le développement social, la cohésion sociale, le pouvoir d’agir et la libération des personnes. Les principes de justice sociale, de droit de la personne, de responsabilité sociale collective et de respect des diversités sont au cœur du travail social. Etayé par les théories du travail social, des sciences sociales, des sciences humaines et des connaissances autochtones, le travail social encourage les personnes et les structures à relever les défis de la vie et agit pour améliorer le bien-être de tous.»1>Définition internationale du travail social approuvée par l’assemblée générale de l’Association internationale des écoles de travail social (IASSW) le 10 juillet 2014 à Melbourne.

Aux Etats-Unis, au début du XXe siècle, deux modèles liés à deux femmes se sont opposés. D’un côté, Mary Richmond a orienté son approche vers la relation d’aide individuelle en prenant appui en particulier sur le modèle de la psychanalyse. De l’autre, Jane Addams, inspirée par la philosophie pragmatiste, a plutôt misé sur une conception sociale tournée vers une transformation sociopolitique pour lutter contre les difficultés sociales.

Au Québec, une distinction claire entre les deux approches

Le Québec a adopté une législation qui non seulement réserve la psychothérapie aux psychothérapeutes, mais définit ce qui caractérise la psychothérapie. De ce fait, les travailleurs et les travailleuses sociales doivent être attentifs à bien distinguer leur intervention de la psychothérapie.

Cette dernière se distingue par trois critères2>Selon l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec.. Le premier est sa nature: «traitement psychologique». Le deuxième est son objet: «pour un trouble mental, des perturbations comportementales ou tout autre problème entraînant une souffrance ou une détresse psychologique». Le troisième concerne ses objectifs: «favoriser chez le client des changements significatifs dans son fonctionnement cognitif, émotionnel ou comportemental, dans son système interpersonnel, dans sa personnalité ou dans son état de santé».

Il ne s’agit pas d’empêcher les travailleurs et les travailleuses sociales de prendre en charge des personnes de manière individuelle relativement à des problèmes de santé mentale. Mais leur aide ne relève pas de l’intervention psychothérapeutique. Le rôle de l’intervention sociale porte sur la relation entre la personne et son environnement. C’est pourquoi, par exemple, il est recommandé de se tourner en particulier vers les déterminants sociaux de la santé mentale.

L’éthique du travail social

La question du type de relation qu’établit le travailleur ou la travailleuse sociale avec les personnes aidées pose des questions éthiques.

Dans le cas du travail social, il s’agit le plus souvent de personnes confrontées à des difficultés sociales de différents ordres. Or les approches inspirées de la psychothérapie conduisent à rechercher le problème dans la personne, alors que ces problèmes ont une origine sociale. Une telle attitude a plusieurs effets. Elle aboutit à une culpabilisation et à une injonction à la responsabilisation de personnes dont les principales difficultés n’ont pas une origine individuelle psychologique, mais une origine sociale systémique.

Ces approches conduisent à considérer ces personnes comme dysfonctionnelles, au lieu de tourner le regard vers l’analyse des situations sociales auxquelles elles font face grâce à une formation sociologique approfondie. Il peut certes exister des blocages intérieurs chez des personnes face à leurs difficultés. Mais ces blocages peuvent être compris comme l’intériorisation chez la personne de rapports sociaux d’oppression dont il s’agit de l’aider à se libérer.

Les travailleurs et travailleuses sociales devraient se donner pour règle éthique de ne pas appuyer leur intervention sur une analyse psychologique des personnes, mais sur une analyse des conditions sociales, des rapports sociaux de pouvoir intériorisés par ces personnes et des possibilités individuelles et collectives qu’elles peuvent mettre en œuvre pour faire face à cette situation.

Notes[+]

Irène Pereira est sociologue et philosophe de formation; ses recherches portent sur l’éducation populaire. Cofondatrice de l’IRESMO (Institut de recherche et d’éducation sur les mouvements sociaux), Paris, iresmo.jimdo.com

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