Musique

L’éternel câbleur s’éclipse

Musicien genevois établi en Valais, Didier Séverin s’est éteint le 23 mars dernier, à l’âge de 51 ans. Du hardcore de Knut aux bourdons de strom|morts, il a marqué la scène romande de son empreinte.
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Inlassable bidouilleur, Didier Séverin tirait des sons hypnotiques de ses circuits. DOMINIQUE FUMEAUX
Hommage

Dans notre rapport à l’acte de création, nous sommes souvent conditionnés à révérer les artistes dits visionnaires. A considérer l’artiste accompli vivant au sommet de sa créativité et gratifiant son public de son génie. Didier Séverin, lui, était le genre d’artiste vivant au milieu des autres hommes. Ne faisant aucune différence entre la pratique artistique et l’acte de transmission. Sans jamais chercher à se poser en exemple, il a su, au cours de son intense existence, non influencer les autres comme le veut la nouvelle doxa des réseaux sociaux, mais se montrer inspirant auprès de ses contemporains.

Didier Séverin, ce n’était pas seulement l’homme d’une pratique musicale, c’était une vision des choses, une esthétique doublée d’une véritable déontologie. Un regard sur la vie; pour ne pas dire un certain rapport au spirituel. Il n’a jamais eu besoin de formuler sa musique, d’expliciter sa démarche, de théoriser son éthique. C’était un tout indissociable; une boîte à outils généreusement ouverte à qui savait observer, et dans laquelle des générations de musicien·nes et d’activistes ont pioché.

En rhizome

Timide et discret, Didier était une force tranquille, un volcan bouillonnant d’idées et de projets derrière une certaine placidité. Au tournant des années 1990, après une adolescence passée à lire tout ce qui se publie en terme de science-fiction (Frank Herbert, William Gibson, Philip K. Dick), il découvre et assimile simultanément plusieurs courants contre-culturels: la musique industrielle et son esthétique martiale, les comics underground et leur débordements graphiques et la culture cyberpunk qui l’amène à développer un rapport très do it yourself à la technologie. Sa connaissance devient encyclopédique et passe systématiquement par la lecture, le fanzinat, l’édition alternative anglophone.

C’est sur ces fondations que Didier Séverin bâtit plusieurs projets. Un premier groupe de musique bruitiste qui dure le temps de quelques concerts, avant la formation, début 1994, de Knut qui devient vite, avec Nostromo et Fragment, l’un des fers de lance de la nouvelle scène hardcore/metal ­romande.

Pour soutenir cette production, la création d’un nouveau label s’impose comme une évidence. C’est la naissance de Snuff Records en collaboration avec ses amis Fred Rey et Roderic Mounir (journaliste en charge de la musique au Courrier). Début d’une période d’intense activité faite de tournées européennes, de disques, de concerts de soutien et de la création de Evil, un fanzine qui en seulement deux numéros va permettre d’élargir la bande, fortifier la dynamique, consolider le réseau.

L’aventure Knut durera près de vingt ans. Au fil des années, la musique du groupe mute, la formation évolue, fait le tour du monde, sort des classiques qui sont aujourd’hui encore réédités. En parallèle, les inclinaisons geek de Didier Séverin l’amènent en 2007 à cofonder Podspital, la première clinique pour iPod et iPhone, pionnière dans la lutte contre l’obsolescence programmée qui gagnera le Prix genevois du développement durable en 2009.

Jusqu’au Vietnam

Quand la parenthèse Podspital se referme, Didier quitte la ville pour s’installer en Valais avec avec sa compagne et leurs deux filles. Il reporte son amour pour le hardware sur les synthétiseurs modulaires. C’est alors un nouveau champ esthétique qui s’ouvre à lui. ­Celui du drone, une musique abstraite et monolithique faite de variations ­harmoniques, de longues plages ­sonores qui s’enchevêtrent. Installé à Conthey, il monte plusieurs projets musicaux qui vont à nouveau l’amener à jouer en Suisse, en France, jusqu’au Vietnam. Llama/Olo avec son complice Loïc Grobéty, et le trio strom|morts avec deux anciens membres du groupe Abraham qui vivent à deux pas de chez lui, Olivier Hähnel et Mathieu Jallut.

Ardent défenseur d’une musique réputée radicale, strom|morts en devient le principal ambassadeur en faisant entrer le drone au musée. Curateur d’une exposition itinérante nommée Musique éternelle: drones et autres bourdons dans la musique depuis toujours, strom|morts fait œuvre de vulgarisation dans le sens le plus noble du terme, invite à ­méditer sur notre rapport primitif à notre environnement sonore, à la place qu’occupe la musique dans notre lien à la nature et au sacré, sur les origines ancestrales et cosmiques de cette ­musique absurdement qualifiée de contemporaine.

Une manière de clore une existence dédiée aux musiques telluriques, puissantes mais pratiquées sans aucun ­esprit d’hermétisme. Homme de peu de mots à l’humour caustique. Angoissé mais plein d’une vie intérieure débordante. Didier Séverin nous laisse aujourd’hui face au mystère de ce qui constitue la vie d’un individu autant qu’il nous livre une fiche de route accessible pour une vie aussi accomplie que possible. Cultiver sa qualité d’âme, donner vie, transmettre. En un mot: aimer.

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