La firme France
Il s’en est fallu de peu qu’Emmanuel Macron ne se représente devant les Français·es sans passer par la case bilan. La pandémie puis la guerre l’ont propulsé au-dessus de la mêlée, bien aidé par des médias révérencieux et englués dans la culture de l’immédiat. Infime grain de sable, l’affaire McKinsey révélée il y a dix jours par une commission d’enquête du Sénat français permet pourtant de boucler la boucle du quinquennat macronien.
Géant mondial du consulting, la multinationale new-yorkaise a été prise en flagrant délit d’évasion fiscale. Depuis au moins dix ans, la «Firme», comme on la surnomme, ne paie pas le moindre centime d’impôt sur les sociétés, malgré un chiffre d’affaires en centaines de milliers d’euros et quelque 600 employé·es. Une délocalisation des bénéfices vers sa boite aux lettres du Delaware (USA), et le tour est joué sans que le fisc français ne mette son nez dans la combine.
L’entreprise jure que la manœuvre est légale. Voire! Des règles de l’OCDE sur la localisation des bénéfices existent depuis plusieurs années et auraient mérité au moins une enquête. Ce qui n’a pas empêché le patron de l’entreprise, Karim Tadjeddine, de déclarer sous serment que McKinsey payait bel et bien son écot à la France et le gouvernement de faire mine de tomber des nues devant les chiffres de ses propres services révélés par le Sénat.
Or McKinsey n’est pas n’importe quel contribuable. Il est de loin le cabinet de conseil le plus utilisé par l’administration française. Architecte de la campagne vaccinale, on a même vu ses cadres la présenter au côté du ministre de la Santé! Mieux: comme l’avaient révélé les «Macron Leaks», des expert·es de la «Firme» avaient participé pro bono en 2016 à l’élaboration du programme électoral d’un certain Emmanuel Macron.
Est-ce pour cela que le gouvernement de la République en marche a multiplié par deux et demi les dépenses publiques en consulting? Au point de devenir «un phénomène tentaculaire», selon le rapport sénatorial, dépassant les habituels appuis techniques pour toucher toujours plus de tâches stratégiques voire régaliennes. Un cercle vicieux, puisque l’administration, affaiblie par les coupes proposées par ces mêmes cabinets, voit son savoir-faire siphonné et devient dépendante aux «conseils» pas toujours avisés de sociétés telles que McKinsey, Accenture (ex-Andersen, impliquée dans la faillite d’Enron) ou Ernst & Young (faillite Wirecard).
Sans parler de corruption ou de renvoi d’ascenseur, l’affaire souligne la convergence du projet macronien avec le capitalisme financier globalisé et rappelle la nature du mandat qui s’achève. Ni progressiste ni homme de lettres comme il affecte de l’être, Emmanuel Macron a une vision: la France comme une entreprise. L’Etat en mode start-up, titrait en 2016 un livre collectif cosigné avec… Karim Tadjeddine. Une France privatisée, où les bénéfices vont dans la poche des entrepreneurs, une France pyramidale, que le mépris régulièrement étalé par le chef de l’Etat pour les perdant·es illustre de façon limpide.