Quand une femme de 70 ans tombe amoureuse
Les Jeunes Amants est dédié à Solveig Anspach, décédée en 2015, dont c’est le dernier scénario. Elle y racontait la rencontre amoureuse de sa mère, l’architecte islandaise Högna Sigurðardóttir, alors âgée de 79 ans, avec un médecin beaucoup plus jeune qu’elle. Avant de mourir d’une récidive du cancer du sein – on se souvient de Haut les cœurs (1999), le film où elle racontait sa bataille pour mener à bien sa grossesse malgré sa maladie –, Solveig Anspach avait demandé à Agnès de Sacy, sa scénariste, de faire aboutir ce projet avec une femme cinéaste. C’est cette promesse que Carine Tardieu, qui connaissait Solveig Anspach, a accepté d’accomplir. Le film est habité par cette histoire singulière, puisqu’on y trouve aussi dans un second rôle Florence Loiret-Caille, l’actrice au centre des derniers films de Solveig Anspach, Queen of Montreuil (2013) et L’Effet aquatique (2016).
Pierre (Melvil Poupaud), médecin oncologue, rencontre Shauna (Fanny Ardant) venue veiller son amie Mathilde qui est mourante, lorsqu’il vient relayer son collègue et ami Georges (Sharif Andoura), fils de Mathilde. Shauna et Pierre échangent devant la machine à café avant que leurs chemins se séparent. Quinze ans plus tard, à la faveur d’un colloque en Irlande, Pierre accompagne Georges dans la maison de campagne qu’habitait sa mère, où Shauna les accueille. C’est Pierre qui la reconnaît…
C’est l’histoire d’une rencontre amoureuse traitée sur un mode feutré, sans éclat, où est mise en avant une tendresse réciproque et le souci de l’autre. Si bien que la question de la différence d’âge (Shauna a 70 ans, Pierre en a 45), si inhabituelle dans notre société dans ce sens-là, passe au second plan dans leur relation. Leur entourage réagit d’abord par la colère (Georges) ou la stupéfaction (Jeanne, l’épouse de Pierre) et Shauna elle-même est terrifiée par l’idée d’engager Pierre dans une relation qui va détruire sa famille, alors qu’elle est au crépuscule de sa vie.
On peut regretter que l’irruption de la maladie modifie sensiblement la problématique du film: en effet, on apprend bientôt qu’elle a un Parkinson dont les symptômes vont aller en s’aggravant. La question de la différence d’âge «atypique» dans une rencontre amoureuse s’efface derrière un thème nettement plus mélodramatique: peut-on s’engager dans une histoire d’amour alors que la maladie risque de remplacer l’amour par la pitié…
Il reste que tous les acteurs sont convaincants, y compris les seconds rôles: la fille de Shauna (Florence Loiret-Caille), la femme de Pierre (Cécile de France) et sa fille (Sarah Henochsberg), et l’ami Georges. Cécile de France se tire avec panache d’un rôle ingrat, celui de l’épouse «trompée» qui finit par accepter l’importance de cette rencontre pour son mari.
Melvil Poupaud incarne une masculinité douce bouleversée et bouleversante, et Fanny Ardant est remarquable, dans le rôle d’une femme de son âge, qui aborde la retraite avec la sérénité d’une vie professionnelle et personnelle bien remplie (architecte, elle va témoigner de son travail devant un amphi d’étudiant·es). Les scènes d’amour sont filmées avec toute la délicatesse requise pour ménager la pudeur de l’actrice et du personnage, délicatesse qui est à la fois celle de Pierre vis-à-vis de Shauna et celle de la caméra de Carine Tardieu vis-à-vis de Fanny Ardant.
Geneviève Sellier est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net