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Suis-je victime d’une addiction à l’information? Trois quotidiens par jour, ainsi qu’une flopée de périodiques, magazines, ou bulletins s’éparpillent sur ma table de travail. Des potins locaux aux grandes orgues de la philosophie politique, tout m’intéresse. Mais comme je n’arrive pas à tout avaler, je me compose un parcours médiatique à géométrie variable. Cette manière de s’informer n’est pas des plus confortables, car elle nous plonge dans la complexité du monde. Pas de vérités révélées: la pluralité des sources et des points de vue conduit à l’incertitude plutôt qu’au savoir, à la responsabilité de se construire une opinion plutôt qu’à l’acharnement à propager ses croyances. C’est tout l’art de la démocratie.

Arrêt sur image… Lors du débat sur l’aide aux médias au Conseil national, il a été mentionné que depuis le début des années 2000, les entreprises de presse ont perdu deux tiers de leurs recettes publicitaires, que 2000 postes de travail auraient été supprimés au cours des dix dernières années et que les experts prévoiraient une diminution des deux tiers du tirage global des journaux pour la fin de la décennie. On annonce des «déserts médiatiques» où l’information locale devient quasi inexistante, alors que dans les grandes villes l’offre se resserre autour de quatre grands groupes de presse qui, eux, engrangent des bénéfices, au prix d’une concentration et d’une uniformisation inquiétantes des contenus. Le paysage n’est pas plus enchanteur du côté des consommateurs et des consommatrices: entre les non-lecteurs angoissés qui préfèrent ne pas savoir, les surfeurs connectés qui survolent les médias en ligne, et la foule des omnivores alimentés par les réseaux sociaux, ça fait beaucoup de gens qui s’informent peu ou mal.

Ce qui étonne, c’est que tout le monde semble regretter le temps béni où la publicité faisait vivre les médias, et personne ne semble s’offusquer qu’il faille s’en remette à la société de consommation et sa frénésie pour s’assurer une information diversifiée et de qualité. A croire que si les milliards des annonceurs ne filaient pas à l’étranger enrichir les GAFA, on s’épargnerait tout ce raffut autour des modestes 151 millions d’argent public! Mais les opposants à la loi ne désarment pas pour autant. Un slogan du type «Plus de pub pour nos médias!» serait plus honnête que le grossier mensonge qu’ils affichent en format mondial dans toutes les gares du pays. On reste pantois, en effet, de l’aplomb avec lequel ils brandissent ce «Non aux milliards des contribuables pour les millionnaires zurichois des médias»! Que je sache, 151 millions, même sur sept ans, cela ne fait pas «des milliards». De plus, ce message est pervers car il cible précisément le point faible de la loi, celui qui fait douter les amis des médias, à savoir sa relative générosité envers les grands groupes comme Tamedia ou Ringier. De fait, le projet soumis initialement au Parlement les excluait de toute aide, celle-ci étant réservée aux journaux dont le tirage ne dépassait pas 40 000 exemplaires. Si ça se trouve, les élus qui sont parvenus à faire biffer cette limite sont aussi les inventeurs de ce slogan trompeur. Ils font partie des référendaires qui côtoient les millionnaires contre qui ils font semblant de s’élever!

Reste l’épineuse question de l’indépendance des médias. A entendre certains opposants, on dirait qu’un franc d’argent public versé à une rédaction est déjà un pas vers la mainmise de l’Etat sur l’information et, partant, vers la surveillance de masse de la population. Encore un mensonge, car l’aide n’est pas destinée aux journalistes et ne permet aucun contrôle sur le contenu des journaux. Peu importe! L’argument fait mouche auprès des pourfendeurs des institutions politiques, parmi lesquels on voit accourir des figures connues, comme les Amis de la Constitution, la Ligue vaudoise ou les anciens de No Billag. Pour fuir la dépendance de l’Etat, estiment-ils plus judicieux de se blottir dans le giron des annonceurs, fondations et autres sponsors? Le risque de dépendance est pourtant plus marqué de ce côté-là, car la générosité de financeurs est rarement désintéressée. Pour s’en convaincre, il suffit de penser à des propriétaires d’entreprises de médias tel Vincent Bolloré qui confie sa chaîne TV à Eric Zemmour ou, chez nous, à un certain Christoph Blocher qui rachète des journaux locaux pour les configurer à son image. Et pourquoi pas à Bill Gates et aux pharmas? La seule évocation de ces noms suffirait peut-être à ramener les complotistes dans le camp des partisans de la loi!

L’aide fédérale aux médias, évidemment, je suis pour, éperdument, même si la loi présente quelques défauts. Voter oui, c’est donner plus de chances au débat démocratique. Plus près de nous, c’est un espoir d’aider notre valeureux Courrier, et, accessoirement, de me permettre de venir périodiquement vous entretenir de mes états d’âme…

Anne-Catherine Ménétrey-Savary est ancienne conseillère nationale. Dernière publication: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

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lundi 8 janvier 2018

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