Agora

La Suisse, sa Constitution et le droit à la santé

En lien avec le prochain passage aux urnes de l’initiative contre la publicité sur le tabac, Roland Niedermann, médecin, met en avant que la production et la commercialisation du tabac sont «inconciliables avec le droit humain à la santé».
Votation fédérale

En premier, le soussigné déclare défendre la médecine hippocratique et sa devise «Primum non nocere» (d’abord ne pas nuire) contre l’industrie du tabac et son commerce sans lesquels la Suisse ne devrait plus déplorer 9500 morts par an.

La situation est nette: Qui conseillerait à une femme enceinte de fumer pour favoriser la santé de l’enfant à naître? La science médicale déclare par conséquent: le tabagisme est incompatible avec la santé. Donc: l’industrie du tabac est incompatible avec la santé. La classification internationale des maladies reconnaît l’addiction à la nicotine comme maladie, indépendamment de l’existence des autres pathologies causées par la fumée. Par contre, pour l’économie, l’addict·e à la nicotine est le modèle du client fidèle à un produit, qui garantit à cette industrie des affaires lucratives et à l’Etat qui la protège des milliards de francs en faveur de l’AVS. A l’ère de l’anthropocène, l’addict·e à la nicotine symbolise le consommateur esclave.

Or, ni la vie ni la santé ne respectent l’ordre des cigarettiers et de l’Etat: L’homme adulte produit par jour des millions de spermatozoïdes. Il s’agit d’une petite fraction des 200 milliards de nouvelles cellules que les corps des deux sexes produisent quotidiennement jusqu’à la mort. Cette division cellulaire permanente conditionne la santé et la vie et n’obéit pas à l’état civil. Parler de majorité est un leurre, la biologie ne danse ni selon les lois suisses, ni selon le déni des malades. Mais la complexité et la quantité des processus biologiques rendent la santé fragile face aux produits «qui tuent».

L’industrie de la nicotine réalise ses chiffres d’affaires moyennant un produit dont l’utilisation «lege artis» (dans les règles de l’art) nuit à l’intégrité corporelle. L’absence de consommation saine de cigarettes fait que cette industrie, son commerce et l’Etat qui encaisse des taxes sur ces produits violent non seulement la Constitution fédérale, en premier l’art. 10, al. 2. Mais encore le droit la santé.

Ce droit humain est inscrit dans le Pacte ONU I, signé par la Suisse. Il se base sur le savoir médical et vise à protéger par exemple les victimes des épidémies anthropogènes. Ainsi le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a approuvé des Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (PDNU). Ces principes engagent les entreprises à éviter de causer ou de contribuer à des conséquences négatives sur les droits humains. Lorsque de tels effets se produisent, elles doivent cesser les activités en cause.

«La fumée tue», par conséquent la production et la commercialisation du tabac sont inconciliables avec le droit humain à la santé et les PDNU exigent l’arrêt de la production et de la commercialisation du tabac et de ses produits. J’ai honte d’être médecin dans un Etat dont le ministre de la Santé et son office – l’OFSP et ses nombreux médecins – ainsi qu’un membre du gouvernement, docteur en médecine, spécialiste en santé publique et ancien vice-président de la FMH (Fédération des médecins suisses) protègent les affaires lucratives de l’industrie mortelle du tabac à la place de favoriser le droit humain à la santé.

L’initiative «Enfants et jeunes sans publicité pour le tabac» met en débat la devise médicale Primum non nocere face à une activité économique nuisible à la santé. Le parallèle avec le débat climatique est évident: le bien-être, la santé et la vie des générations d’aujourd’hui et surtout futures n’est pas possible sans limiter la combustion des matières fossiles. L’avenir vivable a un prix: la restriction des affaires lucratives de l’industrie du pétrole et du charbon: la restriction du «Primum nocere».

Roland Niedermann, Médecine interne générale FMH, Chêne-Bougeries (GE).

Opinions Agora Roland Niedermann Votation fédérale Tabac Santé

Connexion