Un irrévocable défi pour 2022
En Occident, et à plus forte raison dans l’espace urbain, depuis qu’on parle d’écologie et de dévastation climatique – il y a plus de cinquante ans de cela! –, nous sommes incapables de changer nos habitudes. De leur côté, les Etats peinent à avoir une quelconque gouvernance éclairée de nos villes et de nos campagnes: les sols sont de plus en plus privatisés (Alain Damasio, 2021). Dès lors, le déficit d’actions concrètes est exponentiel. Quant à notre adaptation résiliente, elle est proportionnelle à la capture hypnotique des écrans mis à notre disposition. En effet, à force de dématérialiser le réel, celui-ci semble s’être volatilisé pour réapparaître chosifié, mort devant nos écrans. Les Gafam entraînent une désaffection galopante des relations humaines et non humaines, couplée à un individualisme et à un égoïsme qui battent leur plein.
Dans ce contexte, tout semble aller dans le sens d’une croissante soumission adaptative de notre part et d’une impuissance de notre capacité d’action citoyenne. Désormais, ce n’est plus uniquement une question de volonté. En effet, la vaste culture «normopathique»1>Terme qui désigne un usage excessif de la normalité, employé ici vis-à-vis de toutes les personnes qui font de cette normalité – la leur – une vérité, une loi unique. que l’on voit à l’œuvre dans nos sociétés rend difficile tout épanouissement de notre sensibilité: voir, sentir, toucher, entendre, toutes ces petites choses auxquelles on accorde de moins en moins d’importance au quotidien, trop occupé·es que nous sommes par la célérité et l’exponentielle compétitivité néolibérale qui est exigée de nous. Or, ce sont toutes ces sensibilités qui nous lient à la Terre, qui nourrissent notre esprit, nous permettent de résister un tant soit peu à la dématérialisation en cours.
Seule une manière créative d’habiter nos villes et nos campagnes, moins prédatrice, plus coopérative avec la multispécificité existante – des entités humaines et non humaines (Donna Haraway, 2020) – nous permettra de nous émanciper de la pandémie consommatrice et extractive qui nous englobe. Seule une ouverture vers de nouvelles terres «géosociales» habitables (Bruno Latour, 2022)2>Mémo sur la nouvelle classe écologique, B. Latour, N. Schultz, 2022. La notion de «géosocial» fait la jonction politique entre une zone critique (la Terre) et la possibilité effective de la rendre habitable – avec quoi, qui et comment. pourra nous ouvrir un archipel de possibles. Cela implique toutefois d’aller vers une polyphonie de concertations innovatrices: entre les entrepreneur·es, les politiques et les citoyen·nes tourné·es vers une implication dans et avec leurs quartiers. Cela implique également de sortir de l’état de consommateur·trice pour passer à celui de producteur·trice engagé·e au sein de son propre milieu. Par exemple, au cœur de chaque quartier, s’associer pour traquer les techniques polluantes: désigner celles avec lesquelles on va «faire avec», et celles avec lesquelles on ne veut plus «faire avec», des processus qui s’inscrivent dans une «écologie du démantèlement» (Emmanuel Bonnet, Diego Landivar, Alexandre Monnin, 2021) des produits toxiques et aliénants.
Dans le contexte néolibéral et transhumaniste triomphant, qui subordonne toute intelligence non marchande du vivant, les actes de résistance et de désaliénation des subjectivités passent par une réinvention de notre propre puissance et liberté d’agir, de notre propre «être-là», au présent. L’enjeu, notre plus grand défi, est de nous emparer de l’aliénation sociale et mentale, de nous éloigner du «capital» humain néolibéral (Wendy Brown, 2017) et du personal branding, centré sur le narcissisme (Ilaria Gaspari, 2021), afin de devancer la «société souffrante que nous formons» (Nadia Bruschweiler, 2018); afin d’écouter «cette petite voix» qui nous parle, d’explorer nos désirs, de résister aux «envies» (Jean-Philippe Pierron, 2021) qui sont promues en permanence par un marketing grossier. Pouvoir, au plus loin des représentations normopathiques du contrôle social, se réapproprier son «devenir-monde» non marchand: afin de faire «autre monde», au quotidien.
Notes
Miguel D. Norambuena est consultant psychosocial indépendant.