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Un enfant ne peut être privé de liens avec ses parents biologiques qu’exceptionnellement

Chronique des droits humains

Le 10 décembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit à l’unanimité que la Norvège avait violé le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention, pour ne pas avoir suffisamment pris en compte des souhaits de la mère d’un enfant dans le cadre d’une procédure d’adoption1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 10 décembre 2021 dans la cause Mariya Abdi Ibrahim c. Norvège (Grande Chambre).

La requérante, née en 1993, est une ressortissante somalienne. Elle est arrivée en Norvège en 2010 avec son fils, né au Kenya en 2009, mais d’un père somalien originaire de la même ville qu’elle. Elle obtint au mois de juin 2010 le statut de réfugié. Elle a été hébergée dans une résidence d’accueil parents-enfants au mois de septembre 2010. Cependant, une semaine après son arrivée, la résidence signala aux autorités de protection de l’enfant la situation du fils, l’estimant en danger. Le fils fut alors placé dans une famille chrétienne, alors que la requérante avait indiqué qu’il devrait être confié à des cousins ou bien à une famille somalienne ou musulmane. En 2010, la mère et l’enfant furent autorisés à se voir pendant deux heures, quatre fois par an. En 2011, ce régime fut ramené à six visites d’une heure par an.

En 2013, les autorités demandèrent que la famille d’accueil fût autorisée à adopter l’enfant, ce qui supposait que la requérante fût privée de tout droit de visite à l’égard de son fils et déchue de ses droits parentaux. La requérante forma un recours dans lequel elle formula qu’elle puisse au moins disposer d’un droit de visite sur son fils, afin que, entre autres, l’enfant puisse conserver un lien avec ses racines culturelles et religieuses. Ce recours fut rejeté au mois de mai 2015 par la Cour d’appel qui autorisa l’adoption, considérant l’attachement de l’enfant développé à l’égard de sa famille d’accueil ainsi que ses réactions négatives aux visites de la requérante. Entre 2013 et 2015, l’enfant et la requérante ne se virent que deux fois.

La Cour rappelle que de manière générale l’adoption entraîne la rupture du lien familial à un degré qui n’est, selon la jurisprudence, admissible que dans des circonstances très exceptionnelles et ne peut se justifier que s’il s’inspire d’une exigence primordiale touchant à l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, la nature même de l’adoption implique que toute perspective réelle de réintégration dans la famille ou de réunification de la famille est exclue et que l’intérêt supérieur de l’enfant dicte au contraire qu’il soit placé à titre permanent au sein d’une nouvelle famille.

Dans le cas particulier, les autorités judiciaires norvégiennes ont attaché plus de poids aux circonstances liées à l’attachement de l’enfant pour sa famille d’accueil ainsi qu’à ses réactions négatives aux visites de la requérante, sans prendre en considération que ces visites avaient été réduites au strict minimum dès le placement de l’enfant. Ce faisant, les autorités norvégiennes ont accordé plus de poids à l’opposition des parents d’accueil à une adoption ouverte – qui aurait permis des visites – qu’à l’intérêt de la requérante à poursuivre sa vie familiale avec l’enfant.

La Cour considère donc qu’il n’a pas été démontré que les circonstances ont été si exceptionnelles qu’elles justifiaient une rupture complète et définitive des liens entre l’enfant et la requérante, ou que la décision rendue à cette fin était motivée par une exigence primordiale touchant à l’intérêt supérieur de l’enfant. En privant la requérante de son autorité parentale à l’égard de l’enfant et en autorisant l’adoption de celui-ci par ses parents d’accueil, les autorités internes n’ont pas accordé un poids suffisant au droit de la requérante au respect de sa vie familiale, et en particulier à l’intérêt mutuel de la mère et de l’enfant à maintenir les liens familiaux.

Cet arrêt est intéressant en ce qu’il intègre les considérations relatives à la culture et à la religion dans les éléments à prendre en compte lors de l’examen du respect de la vie privée et familiale.

Notes[+]

Pierre-Yves Bosshard est avocat au Barreau de Genève et membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

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