Chroniques

Télé-psychothérapie: une avancée?

À votre santé!

Récemment, j’ai rencontré une connaissance qui présente des difficultés psychiques. Malgré une intelligence évidente, cela ne lui a pas encore permis de s’intégrer dans le monde du travail; elle peine même à sortir de chez elle et à vivre au rythme de son entourage. Elle a mis du temps à pouvoir reconnaître ses difficultés mais, heureusement, grâce à l’insistance bienveillante de sa famille nucléaire, depuis deux ans et demi, elle bénéfice d’un suivi thérapeutique régulier. Elle allait une fois par semaine voir «sa psy», faisant l’effort de s’y rendre en voiture et d’arriver à l’heure au rendez-vous… jusqu’au confinement de mars 2020 (il y a vingt-et-un mois!), où on lui a proposé des visio-consultations, afin de ne pas perdre le lien et ne pas interrompre le travail entrepris. Depuis, malgré les phases d’accalmie de l’épidémie Covid-19 et la reprise d’une vie sociétale plus normale, elle n’a plus revu sa psychiatre en présentiel. Devant mon étonnement, elle m’a dit que la reprise de rendez-vous en face-à-face n’avait plus été un sujet de discussion avec sa thérapeute.

Cette histoire m’interpelle à plusieurs niveaux, moi qui n’ai jamais imaginé faire des consultations autrement qu’en présence de mes patient·es. Certes, souvent, j’ai pu donner des conseils téléphoniques, notamment pour des maladies infectieuses aigues. Mais la rencontre avec mon patient ou ma patiente, et souvent l’un de ses parents, m’a toujours paru tellement essentielle que je peine à comprendre qu’en tant que thérapeute, on se prive à la fois de ce plaisir et de toute la richesse de ce moment. La rencontre ne passe pas seulement par la parole mais aussi par l’expression du corps, et par les différents sens. J’aimerais dire que la moitié des diagnostics se fait au moment d’entrer en salle de consultation.

Certes, la pandémie et les restrictions sociales qu’elle a entraînées ont permis d’innover ou d’accélérer un processus d’utilisation de l’internet dans les différents mondes privés et professionnels: la télémédecine a bien montré qu’elle peut jouer un rôle important pour maintenir le lien, pour parfois entamer une psychothérapie (c’est pas simple de pousser la porte d’un psy!), pour aussi augmenter le rythme des rendez-vous quand c’est nécessaire sans trop bousculer la vie quotidienne, pour éviter ou espacer de trop longs et peut-être pénibles déplacements. Et c’est plus riche que la conversation téléphonique. D’ailleurs, et c’est un fait marquant, des études montrent comment l’alliance thérapeutique est possible par visio-consultation (même si on ne s’est jamais rencontré avant), au point que l’on en oublierait la distance physique – et c’est tant mieux.

Je perçois bien l’utilité de cet outil et de cette manière de travailler. L’échange entre le patient ou la patiente et son ou sa thérapeute peut être aussi fort ainsi, mais et l’un·e et l’autre peuvent être plus facilement distrait·es par des phénomènes extérieurs que l’on ne vit alors «pas ensemble» puisqu’on est dans «des mondes différents» – comme l’orage qui éclate, la sirène des ambulances qui retentit ou la porte qui s’ouvre et laisse entrevoir un «intrus»… Ces phénomènes extérieurs ne peuvent être intégrés à la rencontre: ils rappellent la distance et peuvent casser une dynamique relationnelle. Un autre aspect qui me paraît difficile dans la télé-psychothérapie est d’appréhender son ou sa patient·e non seulement dans son individualité, mais dans son être social: comment puis-je l’aider à mieux vivre en société, à s’épanouir et à prendre sa place d’adulte?

Souvent, en tant que médecin, nous n’avons pas les clés, mais nous faisons alors parler les réseaux de soutien. Ainsi, dans le cas de ma connaissance, comment se fait-il que des aides sociales, aides à la réinsertion professionnelle voire une demande de soutien à l’assurance-invalidité n’aient pas été abordées? Que sait la thérapeute de la réalité matérielle et financière de sa patiente, qui joue pourtant un rôle dans l’équilibre d’une personne? La distance que crée la rencontre duale virtuelle, pour forte qu’elle soit, contribue davantage à «oublier» certains aspects de la réalité de nos patient·es et nous implique moins dans la recherche d’une réponse holistique à la problématique que nous essayons de résoudre.

Le dernier point qui m’interpelle est que les assurances-maladie, si promptes d’habitude à discuter les factures médicales, payent depuis bientôt deux ans sans rechigner des consultations de télé-psychothérapie, mois après mois, sans en questionner l’indication – dans le cas présenté, il s’agit d’une personne jeune, sans handicap physique. Et sans demander si une demande d’assurance-invalidité est en cours.

Précision

l’arcade sages-femmes est ouverte

L’Arcade sages-femmes, à Genève, accueille selon ses horaires habituels (www.arcade-sages-femmes.ch/), contrairement à ce qu’a pu suggérer une interprétation erronée de «la fermeture temporaire de l’Arcade sages-femmes» mentionnée dans l’agora d’Emmanuel Déonna parue le 7 décembre. De fait, l’auteur évoquait la fermeture des espaces d’accueil de la structure associative entre la mi-mars et début juin 2020, conformément aux mesures sanitaires anti-Covid alors en vigueur. CO

Bernard Borel est pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle.

Opinions Chroniques Bernard Borel

Chronique liée

À votre santé!

lundi 8 janvier 2018

Connexion