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De Ho Chi Minh à Facebook

Le Vietnam a dû affronter la colonisation française puis la guerre américaine, son napalm et ses défoliants. Il a également constitué un enjeu convoité dans la lutte d’influence que se livraient la Chine et l’URSS, les deux frères ennemis communistes d’alors. Aujourd’hui, changement de décor: le pays séduit les multinationales et cherche à tirer le meilleur parti de l’affrontement sino-étasunien. Tour d’horizon dans le dernier numéro de Manière de voir.
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En voyant les images de dizaines de personnes s’agrippant aux avions prêts à décoller de Kaboul, sont revenues en mémoire celles de Vietnamiens s’accrochant aux hélicoptères qui évacuaient l’ambassade américaine, lors de la chute de Saïgon en 1975. A chaque fois, les Etats-Unis laissent un champ de ruines derrière eux. Mais la comparaison s’arrête là. Au Vietnam, c’est le peuple qui s’est soulevé et a remporté la victoire. D’abord contre l’occupant français, puis contre l’intervention ­américaine.

Avant d’analyser la trajectoire actuelle du pays, la dernière livraison de Manière de Voir1>«Le Vietnam – colonisation française, guerre américaine, pressions chinoises», Manière de voir, n° 180, décembre 2021-janvier 2022, bimestriel édité par Le Monde diplomatique, www.monde-diplomatique.fr revisite les pages de cette histoire héroïque. Les trésors de courage et d’intelligence dont ont fait preuve les Vietnamiens sont largement connus et reconnus. Mais on ignore souvent qu’en 1883, au moment où la France s’apprêtait à s’emparer du nord du pays, après avoir planté son drapeau dans le centre et le sud, l’empereur chinois avait proposé de créer une «zone tampon» qui éviterait le stationnement des troupes françaises à sa frontière – le chef du gouvernement de l’époque, Jules Ferry, refusa.

On sait peu que, dès les années 1930, la police, inquiète des actions menées par les militants anticoloniaux et pacifistes sur le sol français, les faisait suivre, parfois les arrêtait ou les expulsait. Nous publions des documents inédits de cette chasse aux sorcières où l’on découvre que Ho Chi Minh, le fondateur du Parti communiste vietnamien et futur père de la nation, était selon des policiers, ­petit, «voûté», avec un «sourire niais».

Documents d’archives et reportages d’époque montrent également que les gouvernements va-t-en-guerre prennent toujours un soin infini à préparer les opinions publiques. Jean-Paul Sartre l’explique, quand il prend la défense d’un jeune marin français emprisonné pour avoir diffusé des tracts pacifistes, Henri Martin. On le voit également à travers les déclarations de John F. Kennedy qui envoie les premiers «conseillers» américains au Sud-Vietnam, au nom de la menace communiste de l’Union soviétique et de la Chine. Plus tard, le Cambodge chauffera à blanc sa population par crainte des ambitions régionales de son voisin tout auréolé de sa victoire contre l’Amérique, et poussera à l’affrontement armé…

En fait, le Vietnam a toujours été au centre du jeu d’influences entre les grandes puissances: hier entre Etats-Unis et URSS, ainsi qu’entre celle-ci et son concurrent communiste, la Chine; aujourd’hui entre cette dernière et les Etats-Unis. Ironie de l’histoire, si Pékin marque des points dans le domaine économique, c’est désormais Washington qui remporte la mise dans les cœurs et séduit les dirigeants. On a même vu des GI américains au coude à coude avec les soldats vietnamiens pour des exercices conjoints.

Il reste que le pays a réussi sa modernisation et a sorti la quasi-totalité des Vietnamiens de la misère. Mais, une fois le décollage assuré, l’étape à franchir aujourd’hui s’avère plus difficile encore. D’autant qu’une majorité de la population est connectée à Internet et surfe sur Facebook, se montrant moins ­réceptive aux discours (et au parti) uniques.

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