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Ne pas renforcer une logique binaire

Frédéric Berney réagit à la lettre de Pierre-Alain Wassmer, «Anti-pass et antisocial», parue dans notre édition du 1er novembre.
Pandémie

En évoquant, dans son courrier de lecteur, une édition du journal télévisé, M. Wassmer reprend le vieux réflexe manichéen de l’opposition entre «eux» et «nous», et néglige quelque chose qui me paraît essentiel: présenter le débat sous cette forme simplifiée tient davantage de la mise en scène que de l’information.

S’intéresser aux opposants au pass et à la vaccination à travers les autoproclamés «Amis de la Constitution» n’est au fond qu’une façon de renforcer la logique binaire, culturellement bien ancrée, qui nous sert à faire sens par la mise en opposition et en compétition: «Que le meilleur gagne». Loin de créer un dialogue, une telle mise en scène ne parvient qu’à renforcer la position de chacun, sans jamais qu’il ait à se questionner sur sa mauvaise foi ou son aveuglement. Cette binarité nous incite encore et toujours à séparer le monde en deux, façon Clint Eastwood dans Le bon, la brute et le truand. Malheureusement, ici, on n’est pas dans un western.

On a beau jeu de ridiculiser un groupe de personnes, qui use, certes, d’arguments contestables, sinon contradictoires, si l’on ne se donne pas la peine de voir que ce groupe a comme principale fonction et utilité de polariser les positions pour les renforcer. On crée ainsi une sensation d’unité retrouvée, en invoquant une soi-disant solidarité, là où il ne s’agit peut-être que de l’urgence ressentie de (re)faire société dans un contexte plus global de compétition délétère, de perte de repères et de crise écologique et sociale.

Il serait peut-être utile de constater que ce n’est pas en cherchant à convaincre un opposant de son tort qu’on est à même de le faire changer d’avis. Qu’il y a peut-être plus de profit à l’écouter et à chercher à le comprendre, et se questionner ainsi sur sa propre position – quitte à la renforcer, pourquoi pas? Les Amis de la Constitution font un usage abusif d’un terme tel que «discrimination»? La belle affaire!

Lorsqu’il est fait par ailleurs un usage non moins contestable du terme «solidarité»! Que ce soi du côté des «pro» ou des «anti», au fond, les mots employés ont surtout valeur de slogan, de catalyseur.

Le vaccin est-il utile pour lutter contre la pandémie? Je le pense! Pouvons-nous nous en passer? Cela me semble malheureusement devenu difficile. Y a t-il d’autres moyens de lutter? Sans doute, mais il n’est pas sûr qu’il soit possible de se passer totalement de vaccin, surtout s’il faut trouver un moyen de soulager l’appareil hospitalier. Voilà où j’en suis aujourd’hui de cette question.

Mais comment ne pas comprendre que certaines personnes rejettent comme scandaleuse une solution consistant, au fond, à engraisser toujours davantage une industrie qui surfe sur notre peur la plus profonde – la peur de mourir – après qu’elle ait largement profité de la manne publique – de nos impôts – là où, pour le coup, on aurait attendu de sa part un acte de solidarité – cette solidarité dont on nous rebat les oreilles pour nous convaincre à la vaccination?

Cette solution, soi-disant rationnelle, nous enferme dans un double bind dont il serait temps de parler, si l’on veut comprendre enfin quelque chose à la situation: d’un côté soutenir, au nom de la solidarité, les politiques de santé publique; de l’autre les livrer à une industrie qui nous impose dans un contrat léonin son agenda et ses tarifs. Est-ce supportable?

Comment expliquer, de plus, le peu d’entrain des politiques à mettre sur pied des projets de lutte contre les causes de cette pandémie – de celles qui ont précédé et de celles qui ne vont pas manquer de suivre – dont on sait par ailleurs qu’elles sont globalement les mêmes que celles, aux conséquences beaucoup plus graves, de la crise écologique dans laquelle nous sommes en train de nous enfoncer – destruction des écosystèmes, explosion des flux internationaux de marchandises, à quoi s’ajoutent l’épuisement des ressources, aussi bien renouvelables que non renouvelables?

Comment expliquer que tant de temps soit perdu en arguties, alors que nous n’avons toujours pas pris la mesure et compris la nature véritable de la catastrophe en cours? A l’heure où se tient la conférence de Glasgow, il serait temps de s’y mettre…

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